Les révélations sur la surveillance de la chancelière allemande par les Américains ont provoqué un choc et se sont imposées au sommet européen, Angela Merkel et François Hollande étant décidés à demander des comptes aux États-Unis.

Prévu au départ pour être un sommet «de routine» consacré notamment à l'économie numérique, la réunion des chefs d'État ou de gouvernement, qui débutait à 15 h GMT (11 h à Montréal), est mise sous tension par le scandale croissant lié à la surveillance de leurs alliés par les États-Unis.

Après l'annonce par le gouvernement allemand selon laquelle le téléphone portable de la chancelière «pourrait être surveillé par les services américains», Mme Merkel a demandé des explications au président Barack Obama.

Elle parlera de cette affaire dès son arrivée à Bruxelles, en milieu d'après-midi, avec le président français au cours d'un entretien bilatéral «afin de coordonner leur réaction», a indiqué une source diplomatique française.

La France est également concernée puisque le quotidien Le Monde a révélé lundi que l'Agence nationale de sécurité américaine (NSA) avait effectué des millions d'enregistrements de données téléphoniques de Français fin 2012 début 2013, et avait espionné les ambassades françaises.

Si la surveillance de Mme Merkel était confirmée, ce serait «totalement inacceptable» et porterait un «coup sérieux à la confiance» entre l'Allemagne et les États unis, deux pays amis, a prévenu la chancelière. La justice allemande a annoncé analyser ces informations.

Ce sujet est particulièrement sensible en Allemagne, qui reste traumatisée par la surveillance massive des citoyens par la Stasi en Allemagne de l'Est du temps de la RDA, où Angela Merkel a passé toute sa jeunesse.

Évoquant cette période, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a d'ailleurs mis en garde jeudi contre le «totalitarisme», insistant sur le «droit fondamental» au respect de la vie privée.

Entre pays de l'UE

Ces découvertes en chaîne interviennent après les premières révélations d'Edward Snowden au printemps sur le vaste système de surveillance cybernétique américain.

Pour autant, les Européens n'ont jusqu'à présent affiché aucune unité face à ce scandale. Et pour cause : non seulement les questions de renseignement relèvent des compétences nationales, mais l'espionnage se pratique aussi entre pays de l'UE.

Le journaliste Glenn Greenwald, détenteur des dossiers que lui a confiés Edward Snowden, a affirmé que les Italiens avaient été espionnés non seulement par les services américains, mais également par les Britanniques.

Autre signe de l'incapacité des Européens à afficher un front uni, leurs divergences sur le projet de loi sur la protection des données présenté il y a plusieurs mois par la Commission européenne.

«Maintenant, il faut agir et pas seulement faire des déclarations», a lancé jeudi la commissaire européenne à la Justice, Viviane Reding, appelant les dirigeants européens à faire en sorte que la réforme soit adoptée «d'ici au printemps 2014».

Bruxelles veut que les grands groupes de l'internet obtiennent le consentement préalable des personnes à l'utilisation de leurs données personnelles, sous peine d'amendes.

Le Parlement européen a demandé à la Commission européenne de suspendre un accord UE/États-Unis sur le transfert de données bancaires, signé dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme.

De son côté, le patron du Parti social-démocrate allemand, Sigmar Gabriel, en négociation pour former une grande coalition avec les chrétiens-démocrates de Mme Merkel, a mis en question la poursuite des négociations avec les Américains pour un accord de libre-échange.

Le drame de Lampedusa

L'autre sujet qui doit occuper les dirigeants sera la politique d'immigration, trois semaines jour pour jour après la tragédie de Lampedusa.

Les chefs des gouvernements des pays du Sud confrontés à l'afflux de migrants en Méditerranée, Italie et Malte, mais aussi Grèce, Espagne et Chypre, vont exiger de leurs homologues plus de solidarité concrète.

Ils ne veulent plus se contenter de paroles. Le chef du gouvernement italien, Enrico Letta, réclame un renforcement de Frontex, l'agence de surveillance des frontières européennes. Quant à l'Espagnol Mariano Rajoy, il a demandé mercredi que le contrôle aux frontières soit «un effort partagé par l'ensemble de l'Union».

Cette pression a été accentuée par la maire de Lampedusa, Mme Guisi Nicolini, qui a fait jeudi le déplacement à Bruxelles pour exhorter les dirigeants européens à agir. «Sans nouvelle politique européenne sur le droit d'asile, ce ne sont pas seulement les migrants, mais l'Europe qui fera naufrage à Lampedusa», a-t-elle averti.

Mais les chefs d'État ou de gouvernement ont prévu de renvoyer à juin 2014, soit à après les élections européennes, la définition d'une «politique de long terme» en matière d'asile et de migration.

Après l'intervention de plusieurs pays du Sud, des éléments plus concrets devaient être ajoutés aux conclusions du sommet. Les dirigeants de l'UE devraient ainsi appeler au «renforcement» de Frontex en Méditerranée, et à une «politique de retour» des migrants «plus efficace».