De nouvelles révélations sur une surveillance à grande échelle des communications électroniques par les services secrets américains ont suscité dimanche l'indignation en Allemagne, pays particulièrement sensible à la protection de la vie privée en raison de son histoire.

«Si les informations des médias sont exactes, ce n'est pas sans rappeler des actions entre ennemis pendant la Guerre froide», a réagi la ministre allemande de la Justice, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, qui a réclamé à Washington des explications dans un communiqué.

«Cela dépasse l'entendement que nos amis américains considèrent les Européens comme des ennemis», a-t-elle dit. «Il faut que du côté américain on nous explique immédiatement et en détail si ces informations de presse à propos d'écoutes clandestines totalement disproportionnées par les États-Unis dans l'Union européenne sont exactes ou non», a-t-elle souligné.

À trois mois des élections législatives, cette affaire pourrait se révéler délicate pour la chancelière Angela Merkel, sommée par l'opposition d'obtenir des explications exhaustives et rapides des États-Unis, d'autant que l'Allemagne apparaît comme le pays le plus surveillé dans l'Union européenne par l'Agence nationale de sécurité (NSA), selon les révélations ce week-end de l'hebdomadaire Der Spiegel.

«Le gouvernement doit faire la lumière sur ce dossier le plus rapidement possible», a déclaré le principal adversaire politique de Mme Merkel, le chef de file des sociaux-démocrates Peer Steinbrück, cité par le Spiegel.

«Si les soupçons se vérifient, ces activités iraient bien au-delà des préoccupations légitimes quant à la sécurité. Cela signifierait que les amis et alliés sont espionnés. Ce serait totalement inacceptable», a-t-il ajouté.

L'expert des questions de sécurité intérieure des Verts allemands, Konstantin von Notz, a même estimé dans le Spiegel que la «responsabilité politique directe» de la chancelière était engagée. Mme Merkel ne pourra pas se contenter «de s'abriter derrière des platitudes» dans cette affaire, a-t-il affirmé.

Der Spiegel a révélé dans son édition publiée dimanche que la NSA américaine espionnait des bâtiments officiels de l'Union européenne aux États-Unis, mais aussi à Bruxelles depuis de longues années.

Au sein de l'UE, l'Allemagne serait une cible privilégiée, selon l'hebdomadaire.

La NSA enregistre mensuellement 500 millions de connexions téléphoniques et Internet, selon des documents internes qu'il a pu consulter, notamment grâce à Edward Snowden, l'ancien consultant pour l'agence américaine, bloqué depuis une semaine à l'aéroport de Moscou dans l'attente d'un pays lui offrant l'asile politique.

La première puissance économique européenne serait ainsi sept fois plus surveillée que la France, par exemple, selon ces documents.

Le ministre allemand de l'Économie, Philipp Rösler, a déclaré dans un entretien au quotidien Die Welt qu'il partait du principe que ces activités avaient pour seul but la lutte contre le terrorisme, mais que l'éventualité d'un espionnage économique devait «être écartée».

Dans un pays ayant connu deux dictatures --le national-socialisme puis le communisme de l'ex-Allemagne de l'Est-- obsédées par l'espionnage des citoyens, les révélations du Spiegel réveillent des craintes encore vivaces.

«Un État de droit démocratique qui emploie des méthodes dignes de la Stasi (la police politique en ex-RDA) perd de lui-même toute crédibilité morale», a dénoncé Markus Ferber, chef des députés européens de la CSU (Union chrétienne-sociale), branche bavaroise de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) conservatrice d'Angela Merkel.

Le parquet fédéral allemand a indiqué dimanche à l'AFP qu'il rassemblait actuellement des éléments d'informations pour vérifier si la surveillance de la NSA contrevenait au droit allemand. Aucune décision sur l'ouverture d'une éventuelle enquête n'a cependant été prise pour le moment.

Selon un autre document consulté par Der Spiegel, la NSA a établi une hiérarchie parmi les alliés des Américains. Si le Canada, l'Australie, la Grande-Bretagne et la Nouvelle-Zélande sont explicitement protégés de toute surveillance, l'Allemagne et une trentaine de pays amis, dont la France, y sont décrits comme des alliés «de catégorie 3».

«Nous pouvons intercepter les communications de la plupart des alliés de catégorie 3 et c'est ce que nous faisons», assure la NSA dans un document cité par le magazine.