L'hôpital de la Paix est tout sauf paisible depuis le séisme qui a ravagé Port-au-Prince. Une odeur de putréfaction règne dans cet hôpital public du quartier Delmas 33, où des dizaines de patients couchés sur le sol souillé de sang et d'urine attendent de se faire soigner.

Dehors, une femme de 30 ans qui dit s'appeler Mamaï est assise depuis trois jours contre un mur. Des seringues souillées et des restes de nourriture traînent près d'elle. Des mouches tournent autour de sa plaie. Elle exhibe une fracture ouverte au bras gauche à quiconque passe à côté d'elle en espérant pouvoir entrer.

Malheureusement pour elle, son cas n'est pas assez urgent. Dans le principal couloir de l'hôpital, des patients beaucoup plus mal en point, dont certains ont carrément des membres arrachés bandés avec des pansements de fortune, attendent toujours d'être vus par un médecin.

Le soir du séisme, il n'y avait qu'un médecin haïtien de garde pour accueillir la centaine de patients qui ont déferlé. Une Allemande de passage à Port-au-Prince, la Dre Anke Bïrgman, s'y est spontanément rendue pour donner un coup de main. «Une cinquantaine de personnes sont mortes à l'hôpital ce soir-là sans qu'on puisse rien faire. L'hôpital est tellement sous-équipé qu'on n'avait ni perfusion ni médicament pour les soulager», a raconté hier la Dre Bïrgman, l'air épuisé.

Ce n'est que deux jours plus tard, jeudi, qu'une équipe de secours belge a installé des tentes sur le terrain du Laboratoire de santé publique, voisin de l'hôpital, afin d'y faire des opérations. Des pleurs et des cris à fendre l'âme sortent de ces tentes. «On fait de la médecine de guerre. On doit nettoyer les plaies, amputer des membres et tenter de sauver le plus de vie possible», explique le chef de mission belge, Ronald Ackermans.

S'ils se sont installés à l'extérieur, c'est qu'ils estiment que le bâtiment a été fragilisé par le séisme. Ironiquement, ils n'ont pas assez de tentes pour évacuer tous les patients en même temps, alors ils vont y chercher les cas les plus urgents un par un pour les opérer à l'extérieur.

Comme un pays bombardé

Des militaires canadiens de l'équipe du DART sont arrivés à l'hôpital, hier, pour prêter main-forte à leurs collègues belges. Le caporal-chef Richard Robichaud, débarqué à Port-au-Prince la veille, a comparé la situation à celle de l'Afghanistan, où il a déjà été déployé en mission. «L'état de dévastation ressemble à celui d'un pays bombardé. Au moins, pour l'instant, on ne se fait pas tirer dessus», a-t-il dit.

Mais les secours ne suffisaient visiblement pas à la tâche. Lors du passage de La Presse, les patients continuaient d'affluer et tentaient en vain de franchir la barrière du Laboratoire de santé publique, gardée par des militaires de la MINUSTAH.

Dans l'hôpital, de jeunes bénévoles haïtiens tentaient de nettoyer à mesure les déjections des patients couchés par terre en zigzaguant difficilement entre les corps. Un exercice pénible et éternellement à recommencer. «Je me dois d'aider les autres. Ma ville est détruite», a simplement répondu l'un de ces jeunes, Josué Louissaint, un maçon de 24 ans, lorsque La Presse lui a demandé où il trouvait son courage.

Juste en face de l'hôpital, un terrain vague a été pris d'assaut par une quarantaine de familles, a pu voir La Presse. Cela ressemble à un camp de réfugiés, mais sans ONG pour offrir de l'aide. Les gens se sont confectionné des tentes de fortune avec des bouts de bois et des draps. Sur un muret du terrain vague, on peut lire: «Chapelle paradis, 24/24, morgue privée».

Les gens disent qu'ils n'ont toujours pas reçu d'aide, à l'exception de quelques boîtes de poisson offertes par les autorités locales. «Il nous reste des réserves pour aujourd'hui; mais après, plus rien», a expliqué Maurice Woodley, père de trois enfants, qui a perdu une dizaine de proches dans le séisme.

À quelques coins de rue, un camion-citerne du Centre national des équipements d'Haïti faisait une distribution d'eau dans le plus grand désordre. Un employé responsable de la distribution ne savait même pas si cette eau était potable ou non. Les gens jouaient du coude pour remplir leurs bidons et s'empressaient de boire le précieux liquide... qui pourrait les rendre malades.

Sur la route de Delmas, La Presse a également été témoin d'un sauvetage durant lequel six bénévoles haïtiens sont entrés dans un supermarché presque entièrement affaissé, sans casque, chaussés de simples sandales et munis d'une échelle comme seul outil, dans le but de tirer de là une personne encore vivante. Cette dernière n'aurait pas été victime du séisme. Elle se serait aventurée dans les ruines après le séisme, afin de trouver des denrées, lorsqu'un morceau de béton lui est tombé dessus. Quatre militaires de l'ONU supervisaient l'opération sans oser s'aventurer à l'intérieur.