Il y a le cadre rédigé par les autorités en immigration pour autoriser le parrainage des familles. Et il y a tous les autres cas qui tombent dans la marge.

Dans le sous-sol de la maison de son frère, à Laval, Judith Théronier a fini d'attendre. La semaine prochaine, après cinq mois d'espoirs déçus, elle reprendra l'avion pour Port-au-Prince, où l'attend un abri de fortune près de sa maison fissurée. Mais au moins, elle y retrouvera ses deux enfants, Peggy, 18 ans, et Franck-Richard, 14 ans.

Quand la terre a tremblé en janvier, Mme Théronier détenait déjà un visa de visiteur pour venir voir son frère Erns Montreuil. Elle est arrivée au Québec le 7 février, en supposant être en meilleure position pour y faire ensuite venir ses deux enfants, confiés entre-temps à des amis de la famille.

Mais les semaines ont passé, et les démarches se sont compliquées.

Tout le printemps, le frère et la soeur ont cherché une façon de faire venir les enfants, pesté contre les dédales bureaucratiques en cul-de-sac, vécu d'espoir quand un agent d'Immigration Canada leur a finalement conseillé d'aller sur place pour obtenir un visa de visiteur pour ramener temporairement les enfants au Québec. Erns Montreuil a pris congé de son travail, s'est rendu en République dominicaine (qui traite les demandes de visa des Haïtiens), a payé les 150$ requis pour l'émission du visa.

L'ambassade lui a redonné ses documents... sans le visa. Raison: garantie insuffisante que les enfants retourneront en Haïti. Il a repris l'avion vers Montréal, seul, la mort dans l'âme, en laissant son neveu et sa nièce au milieu des ruines.

«Ça m'a crevé le coeur de les laisser derrière moi, raconte M. Montreuil, encore bouleversé. J'étais tellement convaincu que je les ramènerais avec moi...»

Judith Théronier montre la photo de passeport de sa fille, prise en juin. Une grande adolescente au regard las. «Elle avait de longues tresses, elle les a fait couper, observe sa mère, à voix basse. Regardez ses yeux... ce ne sont pas les yeux d'une enfant heureuse.»

Épuisée et rongée par l'angoisse, Judith Théronier a donc pris la seule décision possible: elle retourne en Haïti, le temps que les autorités approuvent une demande de parrainage par son frère. Une épreuve que son frère aurait préféré lui éviter. «Pourquoi ne nous laisse-t-on pas faire les démarches à partir d'ici au lieu de vivre dans la misère?»