Imaginez votre cour arrière remplie de centaines d'inconnus couchés à même le sol. Imaginez des tentes et bâches partout, des enfants qui courent et de poulets qui picorent.

Depuis un mois, c'est le genre de paysage qu'aperçoit Élouse Jacques lorsqu'elle sort de chez elle le matin.

La cour, en fait, n'est même pas à elle. Elle appartient au propriétaire de la maison, qui a chargé Élouse de veiller sur les lieux.

Le soir du tremblement de terre, pourtant, la femme de 35 ans n'a pas hésité une seconde. Elle a ouvert toutes grandes les portes de la propriété. Elle dit que de 400 à 500 réfugiés y ont afflué selon son estimation.

Puis elle a pris le téléphone pour aviser le propriétaire de la «nouvelle situation». Elle avoue avoir eu très peur de perdre à la fois sa maison et son boulot.

«Il a très bien réagi, raconte-t-elle. Il est même venu sur place nous dire de brûler des fleurs de lilas pour enterrer l'odeur de la mort.»

Un mois plus tard, les réfugiés sont toujours là. Les plus chanceux ont trouvé des tentes, d'autres s'en sont improvisé avec des draps. Plusieurs dorment à même le sol rocheux.

Au fil des jours, Élouse Jacques est devenue très liée aux gens qui vivent dans la cour. Il faut voir la dame corpulente déambuler parmi les rescapés, embrasser les bébés et bavarder avec tout le monde.

«Mes filles sont tellement contentes, elles ont plein d'amis pour jouer», dit-elle.

En fait, il s'est créé rien de moins qu'une communauté dans la cour arrière de chez Élouse Jacques. Ici, on partage la nourriture et on prend soin des enfants des autres.

Des inconvénients? «Il n'y a pas trop de problèmes. Ils s'entendent», dit-elle en parlant de ses déplacés.

Ses seules colères sont dirigées contre les mères qui laissent leurs enfants faire leurs besoins sur le terrain.

À l'ombre des bâches, les filles se tressent les cheveux, les femmes cuisinent, les adolescents jouent aux dominos. Lors du passage de La Presse, un groupe s'est spontanément rassemblé pour chanter et prier. On nous a même invité à dîner - du spaghetti à la sauce au saumon, pour la petite histoire.

Le plus jeune résidant n'a pas un mois. Sergerlin Pierre est né ici, dans la cour, deux jours après le tremblement de terre. Impossible de dire quand il aura un vrai toit au-dessus de sa tête. Mais Élouse Jacques lui promet, à lui et aux autres, qu'elle se battra pour leur droit de rester là.

«Ils vont rester aussi longtemps que nécessaire», dit-elle.

Voyez la vie battre son plein dans la cour d'Élouse Jacques sur cyberpresse.ca