Rues sans voitures, opérations de nettoyage interrompues, commerces fermés: exactement un mois après le séisme, Port-au-Prince s'est arrêté, hier, pour pleurer ses morts. Mais si plusieurs ont prié avec ferveur, d'autres n'avaient pas le coeur aux cérémonies.

Les autorités ont décrété une semaine de deuil national en hommage aux victimes du tremblement de terre, dont plusieurs ont été enterrées dans des fosses communes sans adieux officiels.

Dans une cour ombragée de l'Université Notre-Dame d'Haïti, sur une estrade décorée de fleurs, politiciens et leaders religieux ont prononcé des discours entrecoupés par la musique d'un orchestre et d'une chorale.

«Haïti ne mourra pas», a dit le président, René Préval, dans un bref discours entièrement en créole. M. Préval a aussi invité les Haïtiens à se «sécher les yeux et à reconstruire Haïti».

Au Champ-de-Mars, l'ambiance était tout autre. Des milliers de personnes ont convergé vers cette place centrale transformée en camp de déplacés. La foule était compacte et le soleil tapait fort.

De loin, la scène donnait l'impression d'un océan de gens vêtus de blanc qui chantaient à pleins poumons et criaient «alléluia» en levant les bras au ciel. Mais en y plongeant, on pouvait constater que tout le monde n'avait pas le coeur à chanter.

Comme plusieurs autres, Renel Moïse, 26 ans, a écouté les discours en regardant par terre d'un air fermé. Quand on se présente à lui comme journaliste, il n'attend pas les questions et martèle ses récriminations.

«On n'a pas d'endroit où dormir. C'est sale. On essaie de s'organiser mais on n'est pas capables. Ça ne peut pas durer comme ça.»

Les orateurs ont plusieurs fois dévié des discours religieux pour prendre un ton plus revendicateur. «Les gens ont besoin d'eau. Les gens ont besoin de tentes. Le peuple haïtien attend», a clamé quelqu'un.

Dans les rues, des graffitis récents proclament: «Nou bouke!!!» (On n'en peut plus!)

La journée d'hier a donné lieu à quelques imbroglios. Le porte-parole du Programme alimentaire mondial de l'ONU pour Haïti, Fédrique Pierre, a d'abord affirmé que les distributions de nourriture étaient interrompues pour respecter le deuil et seraient doublées le lendemain pour compenser. Puis il a rappelé La Presse pour rectifier: «Devant l'ampleur des besoins, nous avons décidé de faire les distributions.»

Celles-ci ont toutefois débuté en retard et deux des 16 prévues n'ont pas eu lieu.

L'appel des leaders religieux à décréter un «jeûne de trois jours» dans une ville qui peine à se nourrir a aussi semé une certaine controverse. Simple malentendu linguistique, a répondu à La Presse le ministre de la Santé, Alex Larsen, interrogé en marge des allocutions officielles.

«Ce n'est pas le jeûne au sens strict, français, dictionnaire. Le jeûne, ici, c'est la prière», a-t-il dit.

À l'écart des lieux de rassemblement, Port-au-Prince avait hier des allures de ville abandonnée, au point où il fallait chercher longtemps pour trouver ne serait-ce qu'une bouteille d'eau.