Un mois après le tremblement de terre du 12 janvier, la majorité des sinistrés survivent dans des camps insalubres, les organisations humanitaires peinent encore à répondre aux premières urgences et les leaders haïtiens ne s'entendent même pas sur le nombre de victimes. Ce qui est clair, en revanche, c'est que cette catastrophe, d'une ampleur inconnue dans l'histoire moderne, exigera des années d'efforts de reconstruction. Reste à assurer aux Haïtiens des conditions de vie acceptables en attendant que leur capitale se remette sur pied. De retour récemment d'Haïti, Agnès Gruda se penche sur l'état actuel du pays. Et sur les meilleures façons de le remettre sur les rails. Bilan: un véritable casse-tête.

L'ingénieur québécois André Bergeron vient de rentrer d'un voyage de huit jours qui l'a mené de Port-au-Prince à Jacmel, deux villes dévastées par le séisme du 12 janvier.

 

Les Architectes de l'urgence lui avaient demandé d'inspecter une trentaine de bâtiments endommagés. Parmi ceux-ci: 10 écoles de Jacmel, au sud du pays, et des édifices abritant la faculté d'agronomie de l'Université d'État d'Haïti, à Port-au-Prince.

Lorsque nous l'avons joint, hier, André Bergeron était en train de terminer la rédaction de son rapport. Il était plutôt encourageant pour les écoles de Jacmel, qui ont subi des dommages mineurs, faciles à réparer en renforçant les ancrages des murs et en comblant les fissures avec de l'époxy.

L'ingénieur estime qu'il suffira de 30 000$ pour réparer ces écoles, qui pourraient rouvrir leurs portes dans un mois, à temps pour la saison des pluies.

Le diagnostic est plus sombre pour la Faculté d'agronomie, qui occupait des locaux dans une dizaine d'édifices de la capitale. Six d'entre eux sont irrécupérables. Impossible d'imaginer qu'ils soient reconstruits avant l'automne.

Si les écoles de Jacmel ont mieux résisté au séisme, ce n'est pas parce qu'elles étaient mieux construites, souligne André Bergeron. Mais plutôt parce qu'il s'agissait de bâtiments d'un étage, situés plus loin de l'épicentre du tremblement de terre.

Au retour de sa tournée haïtienne, André Bergeron est convaincu d'une chose: les immeubles qui respectent les normes parasismiques minimales peuvent se compter sur les doigts d'une main dans ce pays. Ceux qu'il a inspectés étaient tous faits de béton trop friable, et leurs murs, dépourvus d'ancrages, n'étaient pas rattachés à la structure.

«C'est la construction la plus meurtrière possible», commente M. Bergeron, qui s'étonne du fait qu'Haïti soit l'un des rares pays des Antilles à n'avoir adopté aucun code du bâtiment et à n'exercer aucun contrôle sur son industrie de la construction.

Si on veut éviter de reconstruire des maisons dont les murs valsent à la moindre secousse, il faut d'abord combler ces deux lacunes. Mais pour cela, il faut un gouvernement un tant soit peu fonctionnel, capable de déployer des centaines d'inspecteurs dans les chantiers.

Un gouvernement capable, aussi, de redessiner de fond en comble les plans de la capitale, signale Bernard McNamara, président de la section canadienne des Architectes de l'urgence.

«Mais qui donc va prendre la direction de cette reconstruction?» demande Bernard McNamara. Amy Wilentz, journaliste américaine auteure d'un livre sur Haïti, estime que pour se reconstruire, Haïti a besoin d'une sorte de gouvernement d'urgence, ou encore d'un gouvernement d'unité nationale, qui réunirait toutes ses factions politiques.

Pour l'instant, on en est loin.