Entre les rangées de tombeaux du plus grand cimetière haïtien, l'église est en ruines et la croix noire de Baron Samedi, l'esprit des morts du vaudou, brisée à la base, s'est écroulée. Plus loin, l'os d'une mâchoire voisine avec une fleur en plastique rose.

«J'ai vu les tombeaux s'écrouler l'un après l'autre», raconte Elmont Cherig, 36 ans, un gardien du cimetière qui travaillait le 12 janvier, lorsque le séisme a frappé Haïti. Sa femme fait partie des plus de 200 000 morts du tremblement de terre. Les cimetières de Port-au-Prince ont été fortement touchés par le séisme. Véritables cités des morts, ils se caractérisent par leurs tombeaux surélevés, où les morts reposent au-dessus du niveau du sol, et font partie des symboles de la culture haïtienne. Beaucoup de ces mausolées de couleurs vives, qui étaient déjà en mauvais état, sont détruits.

Les cimetières ne sont pas une priorité au regard des souffrances causées par la catastrophe, mais représentent juste une autre partie en ruines de la réalité haïtienne.

Le grand cimetière de la capitale compte parmi ses hôtes de nombreux Haïtiens connus. L'ancien dictateur François Duvalier (1907-1971) y a été enterré, mais sa tombe a été pillée il y a longtemps et son cercueil a disparu.

Avec ses tombeaux alignés serrés, hérissés de croix et de décorations en fer forgé, qui forment des corridors étroits et silencieux, le cimetière est à la fois accueillant et angoissant. L'odeur est presque insupportable.

Deux crânes sont disposés à côté d'un cercueil bleu. Difficile de dire s'ils étaient déjà là avant le tremblement de terre.

En revanche, c'est bien le séisme qui a détruit l'église, qui n'a ni toit ni murs, mais où l'autel carrelé de bleu et de blanc est intact, entouré de pots de fleurs en miettes.

L'armature d'un vitrail représentant la crucifixion de Jésus est toujours debout mais plusieurs panneaux ont disparu et l'image est incomplète.

Elmont Cherig raconte qu'il s'est couché au sol quand le séisme a frappé, et qu'il a découvert plus tard que sa maison s'était effondrée. «Ma femme est morte, ma soeur a été blessée», dit-il. Mais ses trois enfants jouaient dehors et ont été épargnés.

Si le grand cimetière de Port-au-Prince est le plus célèbre, des dizaines d'autres offrent le même spectacle. À Pétionville, le mur extérieur n'a pas tenu et des rangées de tombes bordent désormais une rue animée. Par leurs croix et leur architecture, elles sont semblables à celles du grand cimetière, mais les couleurs sont différentes: ici le bleu, le gris et le beige dominent.

Le corps d'un homme repose, sans cercueil, dans un tombeau qui n'a pas été scellé, et d'où dépassent ses pieds, revêtus de chaussettes de sport blanches.

L'odeur de mort et de pourriture est omniprésente. Une section du cimetière est tellement détruite qu'elle évoque plus une explosion qu'un séisme.

Dans une autre tombe, le cercueil brisé laisse apparaître des mains ridées et recroquevillées.

Jean Robert Moïse, 28 ans, qui travaille à l'entretien du cimetière, était là le jour du séisme. Il a été légèrement blessé par des décombres au dos et au bras. «Je suis allé à l'hôpital mais je n'ai pas reçu d'aide», dit-il. Au retour, il a découvert qu'un de ses enfants, âgé de trois ans, était mort.