Une partie du demi-million de Haïtiens qui ont fui Port-au-Prince après le séisme du 12 janvier commence à revenir s'entasser sur les décombres, dans les camps de réfugiés et les files de distribution de nourriture, ce qui pourrait compliquer les ambitieux projets de reconstruction d'Haïti.

Les autorités locales et internationales entendaient profiter de la destruction de Port-au Prince pour reconstruire au mieux la capitale et décentraliser le pays. Port-au-Prince, jadis faite de rues sinueuses et de bidonvilles délabrés, abritait un tiers des neuf millions d'habitants du pays.

Mais la misère qui sévit dans la campagne haïtienne pousse désormais les déplacés à revenir dans la capitale qui générait à elle environ 60% du produit intérieur brut avant le séisme.

«Je n'ai pas aimé cet endroit», explique Marie Martha Juste, qui vend des beignets dans le quartier de Petionville depuis son retour de La Boule, un village dans les montagnes à 30km au nord. «Mes amis m'aident ici. Là-bas, j'étais juste assise à ne rien faire toute la journée. Au moins ici, je peux vendre des choses pour gagner un peu d'argent», ajoute-t-elle.

En dépit des efforts, les opportunités restent peu nombreuses dans la campagne haïtienne. L'afflux de population a mis à rude épreuve les petites villes qui disposent de peu d'écoles et d'emplois. Les prix du sucre, du riz et des autres biens de première nécessité y sont en hausse.

Or, le gouvernement haïtien se révèle inapte à empêcher le retour des déplacés, bien que le Premier ministre Jean-Max Bellerive ait averti cette semaine que Port-au-Prince ne pouvait pas accueillir un nouvel afflux de population. «Il est impossible pour eux de revenir avant que la capitale ne soit reconstruite», a-t-il déclaré.

L'ancien président américain Bill Clinton, qui a visité Haïti vendredi en qualité d'émissaire spécial des Nations unies, a annoncé que cette reconstruction «se mesurera en mois et même en années».

L'ambitieux projet de déblaiement lancé par le président René Préval comprend des dispositions qui permettent d'évacuer par la force les personnes vivant dans des immeubles branlants, souligne Aby Brun, une architecte travaillant dans l'équipe de reconstruction du gouvernement. «Nous allons détruire de façon ordonnée et sécurisée», a-t-elle assuré. Le plan de reconstruction, dont les détails n'ont pas encore été dévoilés, prévoit aussi de fournir des emplois et des services basiques dans d'autres villes et villages afin d'encourager les Haïtiens à quitter la capitale.

«Nous voulons créer pour eux des opportunités dans les villes secondaires», explique le Dr Anthony Chan, No2 de l'Agence américaine pour le développement international (USAID). Cependant, les urbanistes doivent s'attendre à ces retours de population et travailler étroitement avec eux à la reconstruction, estime Alfredo Stein du Centre de recherche en urbanisme international à l'Université de Manchester pour qui ce retour est une opportunité de retisser également les liens sociaux. Selon lui, la construction de camps à l'extérieur de la capitale, comme prévoit de le faire le gouvernement, pourrait être un échec.

À Port-au-Prince, l'ONU estime qu'un demi-million de personnes vivent dans 315 camps, la plupart sans installations sanitaires.

«Vous allez construire des ghettos qui seront loin de l'endroit où les gens ont besoin de reconstruire leur vie économique», explique-t-il. «Des expériences dans d'autres parties du monde montrent qu'après les désastres, quand les personnes sont relogées loin de l'endroit où elles vivent, ça devient des lieux très compliqués avec beaucoup de criminalité».

L'Office des migrations internationales (OMI) a quant à lui choisit une autre stratégie: donner aux habitants des bâches, des outils et des matériaux pour construire des abris là où ils se trouvent. «Les gens ont besoin d'être là où leurs réseaux de soutien sont», juge son porte-parole Mark Turner. Sinon, a-t-il ajouté, «ils seront dépendants de l'aide pour très longtemps».

«Les emplois sont à Port-au-Prince et les écoles sont à Port-au-Prince, donc c'est là où il faut être», résume ainsi Ebed Jacques, un étudiant en droit de 23 ans qui est pour le moment rentré à Saint-Marc, sa ville d'origine à 110km au nord de la capitale.