L'île de la Gonâve, au large de Port-au-Prince, a vu sa population exploser depuis le tremblement de terre. Plus de 40 000 personnes sont venues s'y réfugier. Mais la Gonâve, l'une des régions les plus pauvres d'Haïti, est incapable de nourrir autant de bouches. Or, depuis trois semaines, presque aucune aide n'est venue dans cette île coupée du monde. La famine point à l'horizon.

Se rendre à l'île de la Gonâve n'est pas simple. Dans le village de Carriès, à une heure et demie de Port-au-Prince, il faut prendre un tacot flottant appelé jet-boat. Chaque jour, ces bateaux bondés affluent en grand nombre vers la ville principale de l'île, Anse-à-Galets.

Avec seulement quatre gilets pour une quinzaine de personnes, plusieurs passagers étaient stressés en abordant la traversée d'une quarantaine de minutes, mardi matin. Une femme du nom de Moose faisait le voyage avec ses trois enfants. «Nous avons quitté Port-au-Prince parce que nous n'avons plus rien. Il n'y a rien non plus à la Gonâve, mais au moins le reste de notre famille y est», a expliqué Moose.

Comme elle, des milliers de réfugiés ont gagné la Gonâve depuis le séisme du 12 janvier. Les autorités parlent de 20 000 réfugiés. Des ONG locales, dont GUTS Church, qui y construit des puits, parlent plutôt de 40 000.

L'île n'a rien à offrir à ces nouveaux arrivants. Vues de loin, les immenses montagnes verdoyantes semblent luxuriantes. Mais en débarquant, on se retrouve plutôt en plein coeur du tiers-monde.

Une très grande partie de la Gonâve souffre de déforestation. Dans le village d'Anse-à-Galets, où habite la majorité des 120 000 insulaires, des dizaines d'enfants courent pieds nus dans les rues. Aucune rue n'est asphaltée. Il y a tellement de poussière dans l'air que plusieurs bambins sont couverts d'une fine couche grise.

Les infrastructures sont inexistantes. Avant le tremblement de terre, on estimait que 25% des enfants souffraient de malnutrition. Depuis l'arrivée massive des réfugiés, la pression est énorme.

«Aujourd'hui, les gens ont faim. La famine bat son plein», dit Japhet Sauveur, qui a accepté de nous faire visiter son île à moto.

Rencontrés dans la cour de la maison de leurs parents, où ils dorment sous une tente, Manoly (23 ans) et sa soeur Dorothy (19 ans) ont quitté Port-au-Prince deux jours après le séisme. Plusieurs de leurs cousins se sont joints à eux, si bien qu'ils sont maintenant 12 sous la tente. «Il n'y a pas beaucoup de nourriture ici. Un petit peu d'eau. Mais on est complètement oubliés», déplore Manoly.

Plusieurs jeunes rencontrés dans les rues d'Anse-à-Galets sont des étudiants de Port-au-Prince venus se réfugier chez leurs parents. Cassa Ïlande Decilien, 22 ans, habitait Petite Place Cazeau et étudiait en gestion des affaires. Quand son école et sa maison se sont écroulées, elle est venue rejoindre ses parents à la Gonâve. Ses cousines ont fait de même.

«Avant, on n'avait pas beaucoup de nourriture, ici. Mais maintenant, c'est pire, note Cassa. Je ne sais pas quand on va repartir. Pour l'instant on ne peut rien faire sauf aller à l'église.»

Aujourd'hui, la Gonâve est surpeuplée. Comme si la situation n'était pas déjà assez critique, les infrastructures d'eau potable ont été endommagées par le séisme. L'électricité, qui fonctionnait de deux à trois heures par jour, n'est plus disponible. «On est revenus dans l'ancien temps», résume Japhet.

La Gonâve a toujours importé la majeure partie de ses produits de Port-au-Prince. Maintenant, s'approvisionner est quasiment impossible. «On est dépendants d'eux. Tout est compliqué depuis les événements. Et on manque de vivres, rapporte Kimcy Blaise, le directeur local de Vision mondiale. Les prix ont aussi monté de 65%. Il faut faire quelque chose ici, et vite.»

Dans son petit commerce d'Anse-à-Galets, Mme Lucien Antoine confirme : «C'est extrêmement difficile de commander quoi que ce soit, actuellement. Port-au-Prince nous oublie.»