L'hôpital Albert-Schweitzer est un grand immeuble de pierre taillée, planté dans une campagne épargnée par la destruction.

Au bout de l'un des longs couloirs de l'hôpital, le Dr Pierre-Michel Roy entre dans la Sal Operasyon et ouvre un ordinateur portable noir, qu'il montre au Dr Vincent Échavé. Sur l'écran, les deux hommes lisent un courriel reçu du Québec quelques instants plus tôt. Un collègue chirurgien plastique de la faculté de médecine de l'Université de Sherbrooke y donne son avis sur la façon de traiter une plaie ouverte particulièrement complexe.

«On arrive à envoyer des photos de blessures à des collègues au Québec pour obtenir des avis complémentaires, mais c'est un peu laborieux. La connexion internet est vraiment très lente», explique le Dr Roy en sortant de la salle d'opération.

 

La petite délégation de l'Université de Sherbrooke, composée de neuf médecins et infirmières, dont une chirurgienne orthopédiste, est dirigée par le Dr Vincent Échavé, spécialiste de chirurgie thoracique. À leur l'arrivée à Deschapelles, il y a une semaine, plus de 700 blessés graves en provenance de Port-au-Prince patientaient dans les salles d'attente. Encore aujourd'hui, même si les médecins prennent peu à peu le dessus, des dizaines de nouveaux patients arrivent chaque jour. Huit sur dix ont des fractures du bras ou de la jambe, parfois multiples, souvent ouvertes. Presque tous ont roulé durant trois heures en autobus ou en voiture sur des routes défoncées pour être traités.

«À Port-au-Prince, beaucoup de ces blessés auraient été amputés, faute d'équipement pour replacer les os. Ici, on a fait très peu d'amputations parce que notre équipe est spécialisée en chirurgie orthopédique. On réussit à faire des opérations qui auraient été impossibles plus près de Port-au-Prince», explique fièrement le Dr Roy.

Partie du Québec en catastrophe, la mission sherbrookoise a réussi à emporter le matériel nécessaire pour réparer des os - vis, clous, plaques de métal et autres outils spécialisés rares en Haïti. «L'hôpital est équipé d'un plateau technique acceptable. On peut faire des radiographies. Ça aussi, ça nous a permis de sauver plusieurs Haïtiens de l'amputation», dit le Dr Roy.

L'équipe maintient depuis son arrivée un rythme essoufflant de six à huit opérations par jour, parfois plus. «On commence à opérer tôt, vers 8h le matin, et on finit parfois à minuit ou 1h du matin», explique le Dr Échavé, visiblement au bord de l'épuisement.

Malgré la fatigue, les médecins sherbrookois arrivent à faire de petits miracles. Dans les prochaines heures, le Dr Échavé réparera une double fracture à l'avant-bras d'un garçon, puis, dans une autre salle d'opération, il opérera une femme qui a une hanche fracturée. La veille, les médecins ont dû raccourcir un fémur pour le ressouder. Une opération longue et délicate, digne des meilleurs hôpitaux occidentaux. «Les plaies sont parfois si infectées qu'on ne peut pas les refermer. Il faut alors replacer les os et laisser la guérison se faire sans refermer la plaie. Ça allonge de beaucoup la convalescence», explique le Dr Roy.

Nouvelle vague d'amputations

L'estimation est encore grossière, mais les hôpitaux du pays auraient pratiqué quelque 2000 amputations depuis le séisme, avance l'organisme Handicap international. «Bien sûr, les hôpitaux moins bien équipés ont dû amputer davantage. Mais le nombre d'amputations va probablement encore gonfler un peu partout, croit Sylvia Sommella, porte-parole de l'organisme. On entre dans la deuxième vague: les blessés qu'on soigne ces jours-ci sont ceux qui étaient isolés et qui n'ont pu venir à l'hôpital avant. Leurs blessures ont empiré. Dans bien des cas, l'amputation sera nécessaire.»

Le nombre d'amputés pourrait donc passer à plus de 10 000 à l'échelle du pays. Et encore davantage si les patients pas tout à fait guéris repartent dans des camps de fortune où ils ne reçoivent pas de suivi adéquat. Heureusement, ici, à l'hôpital Albert-Schweitzer, on héberge les patients dans un camp adjacent. «Nous les soignons, les nourrissons et leur fournissons ce dont ils ont besoin jusqu'à ce qu'ils soient rétablis, précise le Dr Rolf Maibach, qui dirige l'hôpital. Ça va créer un gouffre financier colossal dans notre budget. Espérons que les gens donneront généreusement à notre fondation.»