Au milieu de son capharnaüm de statues à cornes et de divinités à crânes humains, Marianne Lehmann, une Suissesse de 73 ans qui collectionne depuis 30 ans des objets de culte vaudou à Port-au-Prince, estime avoir eu beaucoup de chance après le tremblement de terre.

«C'est une leçon. Toutes les pièces auraient pu passer à la casserole», affirme cette femme qui se bat depuis des années pour créer un musée ethnographique et un centre culturel vaudou.

«Il y a de la casse mais ce n'est pas énorme», dit-elle devant ses statues renversées et ses cruches cassées, entassées dans sa maison de Pétionville.

«Certains nous disent que nous avons eu une protection, parce que les maisons voisines sont fêlées mais pas la nôtre», dit-elle d'un air malicieux.

Ni supersticieuse, ni vaudouisante, cette Haïtienne d'adoption depuis 1957 s'est donnée pour mission de «protéger cet art sacré».

«Je ne peux pas m'empêcher d'accueillir ces objets car cela va se perdre. Chaque pièce que je n'achète pas est perdue pour la nation», affirme-t-elle alors qu'elle jette un regard maternel sur ses autels cloués de machettes et de crânes, assurant que tous ces objets ont été «désacralisés avant d'être déplacés».

«Certaines pièces peuvent paraître effrayantes mais c'est en réponse à la violence incroyable de l'esclavage», explique-t-elle alors que le vaudou, hérité des traditions africaines, a fédéré la rébellion des esclaves qui a conduit à l'indépendance d'Haïti en 1804.

100% de «vaudouisants» en Haïti

En Haïti, l'adage dit volontiers qu'«il y a 60% de catholiques, 40% de protestants et 100% de vaudouisants», qui intercèdent auprès d'un Dieu, «le grand maître» à travers quelque 401 divinités représentant les qualités comme les défauts de l'homme, souvent associées aux saints de l'église catholique.

Lorsqu'il y a trente ans, un Haïtien démuni lui propose d'acheter une statue à trois cornes d'une société secrète, elle n'imagine pas qu'elle va devenir la gardienne d'un panthéon de 3 000 pièces de la cosmogonie vaudou.

Rapidement, sa passion la dépasse: sa mère en Suisse hypothèque sa maison pour que sa fille puisse acheter un toit à Pétionville où entreposer ses trésors. Ses quatre enfants, nés à Haïti, se moquent de ses lubies: «Ils me disent parfois, "tu es fauchée, vends une de tes saloperies"», dit-elle en riant.

Patiemment, elle documente la signification de chaque figurine, crée une fondation et cherche des fonds pour ériger son musée. Sa collection finit par attirer la curiosité de musées internationaux, ce qui l'a préservée du séisme.

«Actuellement, 369 de mes plus belles pièces, surtout les grands miroirs d'interpellations utilisés dans les cérémonies pour invoquer les esprits, voyagent à l'étranger», explique-t-elle.

La collection à Ottawa

 Au cours de l'année passée, l'exposition de la collection Lehmann a tourné au Musée d'Ethnographie de Genève, au Tropenmuseum d'Amsterdam et sera bientôt au musée ethnologique de Berlin, puis à Ottawa.

«Nous avons déjà récolté quelque 100 000 dollars pour notre futur musée mais nous prévoyons un budget de 3 millions de dollars», indique-t-elle. «Il nous faut absolument construire un bâtiment aux normes parasismiques».