Dans le quartier de l'Avenue N, à Port-au-Prince, la maison de Widelson Baillargeault se dresse, seule, au milieu d'une mer de gravats. Au loin, on aperçoit les parois crayeuses des montagnes qui encerclent la ville. Dans la rue, une équipe de nettoyage étale les sacs de plastique dans lesquels on enveloppera les corps tout juste extirpés d'un tas de béton. L'air est chargé de poussière et l'odeur est insupportable.

C'est dans ce décor de fin du monde que s'étalent les abris de fortune où les habitants du quartier ont trouvé refuge depuis le tremblement de terre.

Des draps qui pendent accrochés à des piquets, une femme qui fait bouillir du riz dans une marmite, des enfants qui tuent le temps en jouant aux cartes : nous sommes dans l'un des six camps où s'entassent les 30 000 habitants d'Avenue N depuis le 12 janvier.

Deux semaines ont passé depuis le séisme. Et depuis deux semaines, ces rescapés n'ont reçu pratiquement aucune aide. Ou plutôt si : ils ont eu de l'eau. Trois fois plutôt qu'une. «Nous avons trois sources d'approvisionnement en eau, mais aucune pour la nourriture», s'étonne Widelson Baillargeault.

Comptable de profession, il joue un peu le rôle d'organisateur de son camp. C'est aussi lui qui se démène pour obtenir, enfin, de l'aide alimentaire.

Jusqu'à maintenant, il a téléphoné à Save the Children, à la Croix-Rouge, au ministère haïtien des Affaires sociales. Hier, il avait aussi réussi à joindre OXFAM, qui lui a promis une cargaison imminente. Mais quand nous nous sommes reparlé, en fin d'après-midi, il attendait toujours.

Le camp a aussi un besoin urgent de tentes et de toilettes. «Pour nos besoins physiologiques, on utilise des sacs», s'indigne Widelson Baillargeault. Et que fait-on de ces sacs ? «Des parachutes», rigole une de ses voisines...

Widelson Baillargeault ne sait plus à quel saint se vouer. Et il n'arrive pas à comprendre pourquoi la Croix-Rouge, Action contre la faim et la Direction de l'eau potable du gouvernement haïtien s'acharnent tous à livrer de l'eau dans son quartier tandis que, pour la nourriture, c'est la disette.

Qui fait quoi ? Où appeler ? Quand donc un camion de distribution alimentaire passera-t-il dans tel quartier ? Personne ne le sait. Des gens vont jusqu'à se rendre à pied aux entrepôts de la SONAPI, le parc industriel de Port-au-Prince, où sont garés des camions de la Croix-Rouge dominicaine, dans l'espoir d'obtenir quelques sachets d'eau. Ils sont refoulés à l'entrée.

Pourtant, les organisations humanitaires annoncent chaque jour le nombre de tonnes de vivres distribués aux rescapés. Pourquoi donc cette aide n'arrive-t-elle pas dans tous les quartiers ? Pourquoi ce sentiment d'abandon ?

«Problèmes de coordination», répondent les habitants de la ville quand on leur pose la question. «Chaque ONG fait les choses à sa façon», soupire Widelson Baillargeault.

Le président du conseil international de Médecins sans frontières, Christophe Fournier, a un exemple concret pour illustrer ce problème : «Nous avons demandé à l'ONU de nous donner un plan expliquant qui fait quoi, dans le domaine médical. Nous l'attendons toujours.»

Pourtant, l'aide médicale est encore ce qui fonctionne le mieux depuis le séisme, note Jean Eddy Charleus, directeur de Radio Metrostar, une des stations de la capitale. Il se demande si une partie des cargaisons alimentaires ne se volatilise pas au passage. «Personnellement, j'ai vu deux camions disparaître dans des entrées de maisons privées qui n'étaient pas des centres de distribution», accuse-t-il.

La ministre de la Culture, Marie Laurence Lassègue, qui agit à titre de porte-parole du gouvernement haïtien, pense plutôt que les gens se plaignent de n'avoir aucun soutien même quand ils viennent de recevoir des rations alimentaires.

«J'ai suggéré un jour à des journalistes d'interroger des gens juste après qu'ils avaient reçu de la nourriture. Ils ont tous dit n'avoir rien obtenu. Mais je les comprends. Les gens ont peur de n'avoir pas d'autre livraison s'ils disent la vérité.»

Mais l'explication du chaos humanitaire tient aussi à l'ampleur de cette catastrophe qui a fait 600 000 sans abri seulement dans la capitale, une ville de 1,3 million d'habitants !

Interviewé vendredi dernier par Radio Caraïbes, l'ambassadeur français Didier Le Bret a assuré que son pays livrerait, dans les 48 heures, 600 tentes aux sans-abri du Champ-de-Mars - l'un des plus grands «camps temporaires» de la capitale, où 10 000 rescapés vivent dans des conditions insalubres.

Soixante-douze heures plus tard, la majeure partie de ces tentes attendait toujours d'être déchargées au port. À peine quelques-unes avaient été montées au Champ-de-Mars. Et même quand les 600 tentes arriveront dans ce parc du coeur de la capitale, elles ne seront encore qu'une microscopique goutte d'eau dans un océan d'urgences.