Les commerçants du centre de Port-au-Prince n'ont pas seulement perdu des proches et des marchandises dans le séisme. Ils risquent aussi leur vie en défendant ce qui leur reste de l'avidité des pillards.

«Ceux là-mêmes qui hier nous ont volés sont ceux qui m'aident aujourd'hui à charger le camion», explique Maria del Carmen Gonzalez, une Dominicaine âgée de 36 ans, qui, comme les autres commerçants du centre-ville, tente de récupérer ce qu'elle peut de son magasin de climatiseurs.

Perchée sur un énorme tas de débris, Maria semble minuscule et faible devant les gros bras qui font la chaîne pour sortir des cartons de son magasin, avant de les charger dans un camion en piteux état.

Les autorités ont donné l'ordre aux commerçants de vider leur marchandise avant le passage des bulldozers qui ne feront pas la différence entre les bâtiments effondrés et ceux qui tiennent encore debout, soit environ un sur deux dans les rues commerçantes de la capitale haïtienne particulièrement touchées par le séisme du 12 janvier.

Rue des Miracles, à côté de la boutique de Maria, un cadavre en putréfaction semble ressusciter par la grâce d'une pelleteuse qui le soulève au milieu des décombres.

Mais Maria ne semble pas le voir. «Eh toi, où vas tu avec ça», hurle-t-elle à un de ses «volontaires».

«Ils sont entrés hier dans le magasin et aujourd'hui ils sont revenus en me disant qu'ils voulaient m'aider à charger le camion», explique-t-elle d'un air désemparé. La commerçante n'a pas vraiment le choix et profite de cette main d'oeuvre inattendue quoique suspecte. Les manoeuvres seront payés à la fin de la journée, dit-elle, alors que quatre policiers patrouillent dans le quartier.

Le magasin n'a jamais été assuré à 100%, confie-t-elle. «Nous n'avions jamais pensé qu'une chose pareille pourrait arriver».

Les Haïtiens étaient habitués aux ouragans, aux guerres civiles et la violence urbaine, mais pas aux séismes. Le dernier gros tremblement de terre, qui avait détruit l'ancienne capitale, Cap Haïtien, remontait à 1842.

«Nous n'étions pas assurés contre les séismes. Il y en avait avant, pendant l'époque Duvalier, mais nous avons arrêté de payer», confie Jean-Claude Lamothe, 56 ans, dont la quincaillerie est totalement en ruines.

«A partir des années 90, l'instabilité a augmenté, le prix des assurances multirisques aussi», rappelle-t-il. La dernière compagnie d'assurances haïtienne, Nadal, fait aujourd'hui de l'import-export, un métier plus lucratif, explique le commerçant.

Plus loin, Max Gener, un propriétaire de laverie, contemple la façade de son établissement, l'air perdu dans ses pensées. Le bâtiment est encore debout mais les fissures n'invitent pas à entrer.

«Je pense que j'étais assuré, mais pas contre les tremblements de terre», confie-t-il.

Dans tout le centre-ville, les pillages continuent. On entend des coups de feu sporadiques, tandis qu'ici et là des jeunes gens courent les bras remplis de qu'ils ont pu trouver: du tissu, des boissons, des pantalons...

Boulevard Dessalines, principale artère du centre-ville, Wissam Harbour est en train de charger un camion de téléviseurs et de réfrigérateurs. Il n'est autre que le mari de Maria del Carmen Gonzalez.

«Ma femme? Ils ont failli la tuer», raconte-t-il à l'AFP. Après avoir chargé le camion rue des Miracles, les débardeurs ont tenté de l'emmener dans une autre direction et y sont presque arrivés, ajoute-t-il. Pour l'heure, la marchandise est entreposée à la maison, comme on peut. Mais pour l'avenir, «je ne sais pas ce qu'il réserve à Haïti», s'angoisse Wissam.