Samantha, une fillette de 1 an à l'air frêle, rejoindra sa nouvelle mère, Marie-Claude Fortin, d'une journée à l'autre. La petite n'aura plus à dormir dans une tente avec une trentaine d'autres ti-mouns sinistrés dans la cour de la crèche Coeur d'enfants, dans le quartier Delmas 75.

Samantha s'envolera loin de la dévastation de la capitale en même temps qu'une centaine d'autres tout-petits grâce à une entente annoncée hier entre le Canada et Haïti pour faciliter les processus d'adoption déjà entamés par les parents - majoritairement québécois - avant le tremblement de terre.

Depuis le séisme, la propriétaire de la crèche Coeur d'enfants, Viviane Alcide, n'ose plus entrer dans l'immeuble de deux étages, situé au bout d'une route rocailleuse entravée par un poteau électrique. La maison est fissurée par endroits.

Ses voisins lui ont prêté une tente pour abriter la trentaine d'enfants de 0 à 8 ans dont elle s'occupe. «Grâce à Dieu, ils sont tous en vie. Mais c'est inhumain de vivre dehors», dit l'Haïtienne de 61 ans. Chaque soir, elle fait le guet devant l'entrée de la crèche, de crainte que des malfaiteurs ne s'en prennent à ses protégés, qui dorment dans la cour.

Ces enfants sont presque tous promis à des Québécois. Ils ne sont pas orphelins. Ils ont été confiés à la crèche bien avant la tragédie par un parent incapable de s'occuper d'eux. Mais depuis le séisme, Mme Alcide n'arrive plus à les nourrir trois fois par jour. Elle dit manquer de tout: lait, couches, médicaments. Et elle implore le Canada de venir les chercher le plus vite possible.

Des mouches volent près du visage des plus petits, qui font la sieste sur un vieux matelas sous un bougainvillier en fleurs. Les plus vieux s'agglutinent autour de Mme Alcide, qui prépare le dîner. Chacun a droit à une purée brune tirée d'un sachet de «Mamba», une mixture contre la malnutrition. Ils ont des couches fabriquées avec des morceaux de tissu blanc peu étanche. Malgré toute la bonne volonté de la propriétaire des lieux, la cour sent l'urine.

Nourrie par une nounou, Samantha recrache la purée en pleurant. Bientôt, les autres l'imitent. Mme Alcide et sa dizaine d'employées sont débordées.

Johanne, 8 ans, qui s'envolera elle aussi pour le Québec, lit des Babar, tranquille dans son coin. Elle est assez vieille pour raconter qu'elle «a couru vite dehors» lorsque la terre a tremblé il y a neuf jours. Un hélicoptère de l'armée américaine survole le ciel au même moment. La petite s'interrompt alors pour imiter le bruit de l'appareil tout en le suivant du regard. Quand on lui demande ce qu'elle sait du Canada, elle répond poliment: «Plaît-il?» Elle arrive seulement à dire qu'elle partira là-bas «aujourd'hui», ce qui fait sourire Mme Alcide.

«C'est un rêve éveillé», s'exclame Marie-Claude Fortin, la future maman de Samantha, jointe par téléphone à Montréal. Cette mère célibataire est venue à Port-au-Prince au mois d'octobre dernier pour signer des papiers et rencontrer sa fille. Samantha avait alors 14 mois, l'air d'en avoir 6. Elle souffrait de grave malnutrition et pesait à peine plus de 5 kg. «J'ai eu le temps de m'attacher», dit la Québécoise, qui travaille pour les Jeunesses musicales du Canada.

Mme Fortin n'a pu rentrer tout de suite avec Samantha. Un juge haïtien devait donner son approbation après qu'un comité de spécialistes (psychologue, travailleur social, etc.) aurait recommandé l'adoption. Elle est revenue au Québec, consciente que ça pouvait prendre un an encore.

Puis, il y a eu le 12 janvier. D'abord, l'angoisse. Ensuite, la nouvelle rassurante: aucun enfant de la crèche n'avait été blessé. Puis le suspense. «J'attends l'appel avec un grand A. Celui qui me confirmera que Samantha est bel et bien dans un avion vers Montréal», dit-elle.

Nathalie Lavigne, de Saint-Hubert, attend aussi cet appel. «C'est le bonheur total, mais en même temps c'est dommage que ça arrive dans des circonstances aussi troubles», dit la mère célibataire de 45 ans. Depuis hier, elle sait que son fils, Dickenson, 4 ans, sera du voyage. Elle l'attend depuis 40 mois. Elle était censée venir le voir la semaine du séisme. Son billet d'avion était acheté. Elle se souviendra toujours du 12 janvier 2010. «Je n'étais plus capable de me tenir debout. Juste l'idée qu'il puisse être arrivé quelque chose à Dickenson après tous ces mois d'attente...» dit-elle. Comme les vols commerciaux ont été annulés, elle doit prendre son mal en patience.

Des adoptions comme cadeau de fête

La propriétaire de la crèche Coeur d'enfants, Mme Alcide, fêtera ses 62 ans mardi prochain, deux semaines après le séisme. Elle ne demande qu'une chose: que ses 31 ti-mouns soient loin de Port-au-Prince. En sécurité.

Si tout va bien, le voeu de Mme Alcide et des parents de la centaine de nouveaux petits Québécois sera exaucé en fin de semaine. Les représentants de deux organismes québécois d'adoption internationale partiront ce matin à bord d'un avion de l'armée canadienne avec des médecins et des infirmières, confirme Ginette Gauvreau, responsable de l'organisme d'adoption Soleil des nations. La liste de ces enfants est déjà à Port-au-Prince. Tous ont eu la permission de voyager, avec ou sans papiers.

«Notre départ est imminent. L'avion doit être équipé de 30 sièges d'auto pour enfants. C'est ce qui nous retarde», ajoute Mme Gauvreau.

L'équipe fera le tour des crèches pour aller chercher les enfants, qui seront rassemblés à l'ambassade du Canada à Port-au-Prince. Gérard Landry, de l'organisme Accueillons un enfant, aussi du voyage, s'attend à ce que les petits puissent sortir d'Haïti en deux ou trois jours.

Si des parents comme Marie-Claude Fortin et Nathalie Lavigne sont aux anges, d'autres qui seraient tentés d'adopter un enfant haïtien n'auront pas la même chance. Il n'est pas question pour l'instant d'accueillir de nouvelles demandes d'adoption, a prévenu le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon. Déjà, les 100 cas dont il est question ici posent certains problèmes logistiques.

«Je ne voudrais pas laisser planer l'idée que ça va se faire instantanément» a dit M. Cannon. Son collègue de l'Immigration, Jason Kenney, ajoute que lui non plus n'encourage pas les parents adoptifs à se rendre sur place. Il prône la patience.