À quelques jours de la conférence de Montréal, l'idée d'un plan Marshall pour Haïti fait son chemin, mais la forme que prendra la gouvernance politique du pays se complexifie. Un nombre grandissant de pays et d'organisations internationales se disent prêts à diriger la reconstruction.

Parallèlement aux secours qu'ils portent aux Haïtiens, les acteurs internationaux se livrent, dans les coulisses, à un jeu de pouvoir sur la suite des opérations. Qui, au juste, pilotera la reconstruction? Quel modèle de gouvernance politique sera privilégié ? Et quel rôle jouera le gouvernement haïtien?

L'idée d'une administration internationale qui prendrait les rênes du gouvernement fait actuellement son chemin, note Nicolas Lemay-Hébert, directeur de l'Observatoire sur les missions de paix de la chaire Raoul-Dandurand, à l'UQAM.

«Et il n'est pas question ici de contrôler tel ou tel aéroport, nuance-t-il, mais bien de la présence internationale dans l'après, dans les mois, les années à venir.»

De l'avis des experts, le sujet sera certainement à l'ordre du jour de la conférence de Montréal, lundi, en raison de l'importance de choisir rapidement un modèle de gouvernance politique pour assurer la stabilité du pays, puis son éventuelle relance.

«Quand on a quatre ou cinq centres de décision, le chaos s'installe», souligne Jocelyn Coulon, directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix, rattaché à l'Université de Montréal.

Au cabinet du secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, on confirme que les discussions sur la relance sont entamées, même si les efforts se concentrent actuellement sur l'assistance aux sinistrés.

«Ce sont évidemment des questions que l'ONU se pose, indique Vannina Maestracci, porte-parole au quartier général, à New York. Il faut trouver rapidement des moyens de relancer l'économie, de faire travailler les gens, pour qu'ils puissent se soutenir eux-mêmes.»

Quel leader?

Mais qui doit prendre la direction des efforts de coopération ? Le président américain mise sur le trio États-Unis-Canada-Brésil. La France, mécontente d'être écartée, évoque une gestion plus large. La Banque mondiale s'estime la plus compétente, mais l'ONU se dit plus efficace en raison de sa présence sur le terrain.

Le premier ministre haïtien, René Préval, se contente pour sa part de rappeler que «la stabilité politique et la démocratie sont les conditions fondamentales du développement de ce pays».

D'abord et avant tout, il importe de garantir aux Haïtiens une place de choix dans cette future administration internationale, avance Nicolas Lemay-Hébert. «Déjà, on voit apparaître en filigrane l'idée que les moyens de gestion locaux sont inefficaces, ce qui soulève d'importantes questions quant à la représentation des Haïtiens, souligne-t-il. Il est très important de ne pas les marginaliser.»

Il cite l'exemple du Kosovo et celui du Timor oriental. Les deux pays ont laissé place à une administration internationale au cours des dernières années, ce qui a provoqué à la fois l'ire des populations locales et une grave instabilité politique.

«L'histoire d'Haïti, un pays qui a eu dans le passé des rapports difficiles avec la présence internationale, nous montre qu'il faut agir avec énormément de doigté, ajoute-t-il. Une gestion collégiale est possible, mais on doit absolument mettre les dirigeants locaux à contribution.»

Jocelyn Coulon, pour sa part, rappelle l'existence de différents modèles de protectorats internationaux. Il y a celui de la souveraineté complète, comme le Kosovo et le Timor oriental, mais il y a aussi celui de la souveraineté partagée, comme au Cambodge au début des années 90.

«Avec Haïti, dit-il, un pays membre de l'ONU, le scénario pourrait ressembler à celui du Cambodge, c'est-à-dire que, en plus du chef de l'État, une autorité provisoire est créée pendant 18 mois pour gérer le pays et accompagner le processus politique et une partie de l'aide à l'économie et au développement. Mais ça, c'est une discussion qui va se faire avec le gouvernement haïtien.»