Une vingtaine de secouristes colombiens. C'est la seule aide extérieure que Jacmel, la principale ville du sud d'Haïti, avait reçue cinq jours après le tremblement de terre.

Plantés devant l'école Trinité, où ils pensaient sauver au moins quelques vies parmi la vingtaine de jeunes pris sous les décombres, les secouristes ont dû se rendre à l'évidence, dimanche : ils sont arrivés trop tard.

Les secouristes, débarqués par hélicoptère la veille, ont fait un X rouge sur un mur à l'entrée de l'école, située au coeur de la ville. Ils ont aussi inspecté une quinzaine de maisons écroulées. Partout, le même X. C'est le signe de la mort. Le X de l'impuissance.

«Avant d'arriver, on se disait qu'il y avait un espoir de sortir des jeunes vivants», a indiqué le chef des opérations, William Tovar. À ses côtés, deux chiens pisteurs dormaient dans des cages. Des dizaines d'Haïtiens observaient leur travail sur le seuil de maisons fissurées.

«Mon frère étudiait en génie. Il avait 22 ans. C'est trop jeune pour mourir», raconte Immanente Paris, un masque sur la bouche pour se protéger des odeurs. Le cadavre de son petit frère est toujours dans les décombres.

Avant l'arrivée des Colombiens, une dizaine de pompiers locaux se sont portés volontaires pour fouiller les milliers de bâtiments détruits : maisons, écoles, églises. «Ils n'avaient pas d'équipement. Seulement de la volonté», dit Beatriz Lafuente Vasquez, responsable de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) à Jacmel.

Personne n'a encore été sorti vivant des ruines.

La ville natale de la gouverneure générale Michaëlle Jean était complètement isolée dimanche. Des failles ont apparu sur la principale route qui relie Port-au-Prince à Jacmel. Des éboulements s'y sont aussi produits. À certains endroits, la moitié de la voie est carrément affaissée. Seuls les motocyclistes et les piétons s'aventurent sur cette route sinueuse encaissée dans les montagnes.

La Presse est parmi les premiers médias du monde à s'être rendue sur place. Le vieux quartier historique - l'un des principaux attraits touristiques du pays - est détruit. La mairie et le bureau de poste ne sont plus que des souvenirs. Des hôtels sur la plage sont fissurés ou écroulés. Dans cette ville de 50 000 habitants, le tiers de la population est sinistré. Un bilan provisoire fait état de 332 morts.

Le principal hôpital n'a pas d'anesthésiste ni de chirurgien pour opérer les nombreux blessés.

Après le tremblement de terre, la prison a été plongée dans l'obscurité. Les gardiens n'avaient pas de lampe de poche. Quelque 80 des 350 prisonniers ont réussi à s'évader et ont tout saccagé sur leur passage. Cela a rendu les habitants nerveux. Des maisons et des commerces ont été pillés. Les magasins intacts refusent d'ouvrir leurs portes par peur aussi d'être pillés. Une seule station d'essence fonctionne.

Quelque 4000 personnes se sont réfugiées au stade de soccer du lycée Pinchinat, transformé en camp de fortune. Des enfants pataugent dans l'eau boueuse. Les gens sont couchés sous des tentes faites de draps et de morceaux de bois. Ils attendent.

Rolande Edma, 28 ans, est allongée sur le gazon aux côtés de son bébé d'un mois, Bianca. La petite fait de la fièvre. La maison dans laquelle elle vivait avec sa mère et quatre frères et soeurs s'est effondrée. Seules Rolande, sa mère et le bébé ont survécu. Elles ne savent pas ce que l'avenir leur réserve. Lorsqu'elle apprend que nous sommes québécois, elle nous fait une demande : «Écrivez que mon oncle Maurice Edma vit à Montréal. On ne sait jamais.»

Les moyens du bord

Les rares travailleurs humanitaires qui étaient sur place avant le séisme se débrouillent avec les moyens du bord.

Une poignée de policiers et de militaires de l'ONU assure la distribution de l'eau et de vivres provenant des réserves de la base en cas d'ouragan. Parmi les policiers, deux sont de Québec, Alain Girard et Luc Vallée. Ils ont fait le choix de ne pas être évacués. Luc Vallée a frôlé la mort durant le tremblement de terre (voir texte en page A4).

«Les hommes ne font rien, ici, même si on leur demande de l'aide, s'étonne Alain Girard, de la Sûreté du Québec. Il n'y a que les femmes qui travaillent.» Des bagarres éclatent parfois pour un bidon d'eau. «Ça peut péter à tout moment», prévient-il.

Il est aussi déçu du comportement de la police haïtienne. «On ne les voit nulle part. Lundi, j'ai traité leur patron de lâche. Ses policiers doivent être là pour rassurer les gens», dit-il. Il terminait sa mission de neuf mois lorsque la catastrophe est survenue.

Près d'une semaine après le séisme, les Casques bleus, déjà débordés par l'ampleur de la tâche, n'ont toujours pas exploré les communes environnantes, dont Bainet, qui auraient été durement touchées. «On va essayer d'y aller par bateau dans les prochains jours», précise Mme Lafuente Vasquez, de l'ONU. Elle attend avec impatience l'arrivée des militaires canadiens, dont un responsable est venu samedi par hélicoptère pour évaluer les besoins.

Lundi, des médecins militaires canadiens sont enfin arrivés à Jacmel. Un bateau dominicain rempli de vivres et de médicaments est aussi arrivé au port.