Près d'une semaine après le tremblement de terre, de nombreux Haïtiens sont à bout de nerfs, tiraillés par la faim, la soif et le besoin de soins médicaux. Leur désespoir augmente l'agressivité et la violence dans les rues de Port-au-Prince.

«La population est à bout», a indiqué Elizabeth Byrs, la porte-parole du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU.

Le gouvernement haïtien a décrété l'état d'urgence avant-lundi, devant un bilan qui s'alourdit : 75 000 cadavres ont été enterrés dans des fosses communes, mais les forces américaines estiment que le total pourrait atteindre 200 000 morts. C'est sans compter les 250 000 blessés et 1,5 million de sans-abri. «C'est comme si une bombe atomique avait explosé», a dit l'ambassadeur des États-Unis en Haïti, Kenneth Merten.

Les rescapés luttent quant à eux pour leur survie. «Les nerfs sont en train de craquer alors que les survivants affamés et assoiffés réalisent l'étendue de leurs pertes», a indiqué lundi par voie de communiqué le Comité international de la Croix-Rouge.

Lundi, la police antiémeute a fait fuir des pilleurs avec des gaz lacrymogènes dans le centre de Port-au-Prince, où plusieurs magasins ont été incendiés. Un journaliste de l'Agence France-Presse a croisé un jeune qui était en train de revendre deux paires de fausses chaussures Nike pour l'équivalent de 3 $. «Toute ma famille est morte. Je n'ai plus rien pour vivre (...) Je ne peux rien manger. C'est pour ça que je vends les baskets», a confié le jeune survivant, qui se prénomme Donald.

Outre des victimes du séisme, l'équipe de Médecins sans frontières (MSF) accueille de plus en plus des gens blessés par balle ou par arme blanche.

Joint par téléphone en Haïti, Rick Perera, de l'organisme Care, a dit à La Presse que le manque de sécurité sur le terrain nuit à la tâche des travailleurs humanitaires. «Nous avons des vivres, mais nous avons de la difficulté à les distribuer, indique-t-il. La logistique est un casse-tête.»

«Il faut qu'on établisse clairement qui est responsable de la sécurité, poursuit-il. Les ONG doivent pouvoir distribuer des vivres à la population sans craindre que des bagarres éclatent. Nos gens veulent aider, ils ne veulent pas causer de mort.»

Qui est responsable?

Selon Rick Perera, il y a un manque de coordination entre les organismes, les secouristes, les militaires et les autorités locales. Les gens qui sont à Port-au-Prince ont l'impression qu'il n'y a pas de responsable, dit-il. «Nous sommes allés dans un hôpital et nous ne savions pas vers qui aller, explique-t-il. Il faut dire que beaucoup de représentants du gouvernement sont morts et que le gouvernement haïtien est très centralisé.»

Selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU, la moitié des policiers haïtiens sont morts ou portés disparus. Les autorités haïtiennes recommencent «à prendre les choses en main» et elles assistent aux réunions de coordination de l'aide, a assuré la porte-parole Elizabeth Byrs.

L'ancien président américain Bill Clinton est par ailleurs arrivé à Port-au-Prince, lundi. Il a visité un hôpital et il devait s'entretenir avec le président René Préval. «En tant qu'émissaire particulier de l'ONU pour Haïti, je ressens envers le peuple haïtien l'obligation profonde de visiter le pays et de rencontrer le président René Préval pour vérifier que notre réaction reste coordonnée et efficace», a déclaré M. Clinton dans un communiqué de sa fondation humanitaire.

MSF furieux

Des milliers de militaires supplémentaires ont débarqué lundi. La distribution de vivres et les communications téléphoniques se sont aussi améliorées, a-t-on rapporté. Mais des gens meurent et des femmes accouchent toujours en pleine rue sous les yeux des travailleurs humanitaires, qui se sentent impuissants et qui aimeraient en faire plus.

L'équipe de Médecins sans frontières vit beaucoup de frustrations. Deux avions pleins de médicaments et d'équipement médical ont été détournés vers la République dominicaine avant-lundi. L'organisme estime avoir pris bien malgré lui 48 heures de retard dans les interventions chirurgicales.

«Nous sommes frustrés. Des médecins ont des patients et ils n'ont pas les bons médicaments et le bon équipement pour faire des opérations», a indiqué lundi matin dans une conférence de presse téléphonique le coordonnateur Benoît Leduc.

«Nous allons perdre des gens au cours des prochains jours», craint-il.

Les blessures ouvertes doivent être opérées dans les plus brefs délais. «Chaque minute qui passe augmente le risque de gangrène», a souligné Loris De Filippi, coordonnateur à l'hôpital Choscal, dans Cité Soleil.

MSF ne comprend pas pourquoi son matériel médical n'a pas été jugé «prioritaire». Les gouvernements français et brésilien ont aussi critiqué la gestion que font les États-Unis de l'aéroport, à la demande des autorités haïtiennes.

Sur les ondes de CNN, l'ambassadeur des États-Unis en Haïti a dit lundi que les forces américaines font ce qu'elles peuvent. «Nous regrettons que certains soient mécontents, mais nous avons pu répondre à leurs préoccupations», a déclaré Kenneth Merten.

Peu de temps après, l'ONU s'est entendue avec les autorités américaines pour donner la priorité d'atterrissage aux-

avions de l'aide humanitaire.

Malgré tout, les contraintes logistiques persistent, déplore Elizabeth Byrs, qui a aussi appelé «la population à dégager les routes pour laisser passer les convois d'aide». La route entre Saint-Domingue et Port-au-Prince est embouteillée, si bien que le trajet prend plus de 18 heures.

- Avec l'Agence France-Presse et La Presse Canadienne