Après le châtiment, les Haïtiens ont eu droit à un petit miracle hier, lorsque trois personnes ont été extirpées vivantes des décombres d'un des plus grands supermarchés de Port-au-Prince.

En fin de soirée, deux autres personnes étaient sur le point d'être rescapées de l'immeuble en ruine, cinq jours après le séisme.

 

Si la rescousse d'une poignée d'individus n'efface en rien la catastrophe qui a emporté des milliers d'autres, chaque sauvetage demeure crucial.

Pour les Haïtiens, mais aussi pour les secouristes, désespérément en quête du moindre signe de vie dans une ville rasée, où d'innombrables bâtiments sont aujourd'hui des tombeaux.

Le petit miracle a eu lieu dans la rue Delma95, à Pétion-Ville, un quartier de Port-au-Prince. Lors du séisme, le Carribean Market, gigantesque supermarché de quatre étages, s'est compressé comme une galette dans l'effondrement. Plusieurs poutres en acier ne tiennent aujourd'hui qu'à un fil. Des chariots d'épicerie tordus traînent partout sur les lieux.

Pour s'engouffrer dans les ruines instables du marché, les secours doivent escalader une montagne de béton. Devant ce spectacle de destruction, impossible d'imaginer que des gens respirent encore à l'intérieur.

Impossible jusqu'à ce qu'une personne prisonnière du supermarché ne lance un appel de détresse à l'aide de son téléphone cellulaire vendredi.

De Katrina à Haïti

Les secours se sont ensuite vite organisés, avec en tête une équipe de sauvetage de la Floride (South Florida Urban Search and Rescue). Des pompiers spécialisés, qui ont notamment réussi des exploits après le 11 septembre et le passage de l'ouragan Katrina. «Ce qui se passe ici constitue un défi plus important que tout ce qu'on peut imaginer», avoue le lieutenant Charly McDermott.

Dans la nuit de samedi à hier, les secours ont extirpé trois personnes. Une fillette de 7 ans, un homme de 30 ans et une femme de 50 ans. «La fillette de sept ans avait fait une chute de quatre étages dans l'effondrement, mais s'en est tirée presque indemne. Par chance, il y avait de la nourriture près d'elle», a expliqué le lieutenant McDermott.

L'équipe de Miami a hier réussi à établir un contact avec deux autres personnes coincées, un homme et une femme dans la trentaine.

Sans perdre de temps, sous un soleil de plomb, les sauveteurs ont entrepris le long travail pour les libérer. À notre passage au début de l'après-midi, une trentaine de pompiers de la Floride fouillaient déjà les décombres. «On avance lentement, nous ne sommes qu'à 20 pieds d'eux. On peut leur parler. L'homme est coincé par le pied et la femme est en bonne condition, mais prisonnière dans une sorte de poche d'air. La structure est fragile, alors on prend notre temps», explique le lieutenant McDermott, qui offrait régulièrement des nouvelles fraîches aux nombreux journalistes sur place.

Un traitement auquel n'avaient pas droit les dizaines de Haïtiens refoulés aux deux extrémités de la rue et surveillés de près par des soldats philippins lourdement armés.

Pour prévenir le pillage, a-t-on justifié.

» C'était la fin du monde «

En retrait, ils observent les opérations de secours. Jérôme Saint-Rilus était parmi eux. Cet employé du supermarché de 48 ans finissait son quart de travail au département de la boucherie lorsque la terre s'est mise à trembler. «Il y avait 200 personnes dans le magasin. Le bâtiment a commencé à se balancer dans tous les sens, craquait de partout, avant de s'effondrer. Les gens criaient...» raconte cet homme encore secoué, qui a réussi à sortir à temps. «Une fois dehors, j'ai vu que les dégâts étaient partout autour. C'était la fin du monde.»

En milieu d'après-midi, les secouristes commençaient à installer de grosses poutres en bois pour supporter la structure fragile et fissurée de partout. Ils devaient creuser des sortes de cheminées pour atteindre les deux survivants.

Au même moment, un homme au volant d'une voiture a fait irruption sur le site. Le conducteur est sorti du véhicule et s'est jeté dans les bras du lieutenant McDermott. L'homme est un proche de la femme rescapée quelques heures plus tôt, Marielle Ditner, 50 ans. «Elle va bien, elle a été transportée dans un hôpital de Miami», explique l'homme, ému, avant de repartir.

Dopés par cette scène, les sauveteurs ont aussitôt repris les recherches. Les équipes se succèdent à l'intérieur du bâtiment, qui menace à chaque instant de s'effondrer comme un château de cartes. «On a 65 personnes qui se relaient sans arrêt. Ils doivent ramper 15 minutes pour se rendre à un premier camp de base à l'intérieur. Il fait chaud, les gars sont fatigués, mais nous avons attendu cinq jours pour vivre ce moment. Ces sauvetages sont suffisants pour nous redonner du courage», souligne le lieutenant.

Quelques minutes plus tard, l'optimisme s'estompe et fait place à la panique. Tous les sauveteurs sortent en trombe du bâtiment. Le plancher a commencé à bouger sous leurs pieds. Les risques d'effondrement forcent leur retraite tandis qu'ils se trouvaient à quelques pouces seulement d'une survivante. Ils venaient tout juste de dialoguer avec elle, songeaient à lui donner de l'eau à l'aide d'un bâton. Dehors, la déception est totale. Ils doivent revoir leur stratégie. L'ambiance est lourde. Quelques pompiers craquent, pleurent assis sur les décombres. «C'est très dur émotionnellement pour eux d'être si près des survivants, de leur parler, mais de devoir rebrousser chemin», explique le lieutenant McDermott.

Au début de la soirée, les secours s'étaient retroussé les manches, pour replonger dans l'immeuble, munis de lampes frontales. Malgré le danger que tout s'écroule au-dessus de leur tête, jamais ils n'abandonneront.

Quitte à perdre 65 personnes pour en sauver deux.