Après la douleur et la tristesse, le découragement, l'impatience et la colère gagnent maintenant les sinistrés haïtiens dans l'attente d'une aide qui tarde à s'organiser, tant les problèmes de logistique sont nombreux à la suite du séisme de mardi.

Mais l'aide s'organise tout de même. Et les promesses de contribution se multiplient alors que les premières estimations font état de 1,5 million de personnes sans-abri.

 

Hier, le gouvernement haïtien a décrété l'état d'urgence. Quelque 75 000 corps de victimes du séisme ont déjà été enterrés.

Le Canada a annoncé hier l'envoi d'un millier de soldats supplémentaires dans le pays. Ils rempliront plusieurs tâches dont celles d'apporter une aide médicale et d'assurer la sécurité de la distribution des rations.

En parallèle à cette annonce, le ministre canadien des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a indiqué que quelque 250 Canadiens ont été retrouvés et déclarés vivants au cours du week-end mais que 1115 d'entre eux manquent encore à l'appel.

Durant le week-end, les observateurs ont par ailleurs noté que des milliers d'Haïtiens ont quitté la capitale, Port-au-Prince, alors que d'autres se sont livrés à des actes de pillages.

«Les gens quittent Port-au-Prince pour aller se réfugier dans leur famille en région. Ils ont perdu leur maison ou ils ont peur de la réintégrer», raconte Audrée Montpetit, travailleuse humanitaire de CARE Canada, jointe dans la capitale haïtienne.

Plusieurs autres personnes auraient fui la capitale parce qu'incapables d'y recevoir des soins de santé. Elles se rendent dans les autres villes et villages du pays dans l'espoir de recevoir des soins. Or, dit Mme Montpetit, cela met aussi de la pression sur ces communautés.

Quant aux pillards, ils ont pris d'assaut des commerces abandonnés du centre-ville, munis tantôt d'armes à feu, tantôt de machettes ou de simples bouts de bois acérés, rapportaient des agences de presse sur le terrain, hier.

Au marché Hippolite, par exemple, des policiers haïtiens auraient tiré des coups de feu sur un groupe de pillards, blessant mortellement à la tête l'un d'entre eux, rapporte l'Agence France-Presse.

Ailleurs dans la capitale, un grand nombre de sinistrés à la recherche de rations distribuées par l'ONU ont perdu leur calme lorsqu'ils ont compris que toute l'aide disponible à un point de distribution s'était envolée. Désespérés, ils fouillaient frénétiquement dans des boîtes de carton vides, à la recherche de la moindre ration oubliée. Plusieurs se jetaient les boîtes à la tête.

«Le niveau de faim et de soif est tellement élevé qu'il y a une agitation chez les gens, dit Isabelle Depelteau, directrice de Vision mondiale pour le Québec, jointe à la frontière entre Haïti et la République dominicaine. Il faut assurer la sécurité autour de la distribution.»

Structurer la coordination

Encore hier, on sentait que la coordination des secours restait à définir. Ainsi, dans un communiqué, l'organisme Médecins sans frontières suppliait les responsables de laisser ses avions-cargos atterrir à l'aéroport de Port-au-Prince. Plus tôt dans le week-end, un aéronef de MSF a dû atterrir à Saint-Domingue, en République dominicaine. Dans ce cas, il a fallu acheminer l'aide par voie terrestre, ce qui prend 24 heures de plus.

Le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a abordé la question dans sa conférence de presse.

«J'estime que le plus gros défi est toujours d'être capable de coordonner des choses, a-t-il dit. Ce qui est important, tout en reconnaissant la responsabilité des Nations unies, c'est de travailler en étroite collaboration avec le président (René) Préval, le premier ministre (Jean-Max) Bellerive et le gouvernement haïtien. S'assurer de qui fait quoi et comment nous le faisons afin d'éviter qu'il y ait des dédoublements. Tout en s'assurant, bien sûr, que des organismes qui sont sur le terrain puissent aussi faire le travail qu'ils doivent faire.»

Audrée Montpetit, qui a longtemps séjourné en Haïti, rappelle que le pays était déjà fragilisé avant le tremblement de terre de mardi. «Les gens étaient encore en train de se relever des derniers ouragans (à l'automne 2008)», dit-elle.

Le séisme a mis tout un chacun à genoux: le gouvernement, la police, les organisations internationales. «Il faut aussi comprendre qu'ici, tout passe par Port-au-Prince, poursuit Mme Montpetit. Et comme la capitale a été fortement secouée, c'est tout le pays qui est paralysé.»

Pour Isabelle Depelteau, la plus grande préoccupation, ce sont les communications. «C'est d'une complexité remarquable, dit-elle. Nous sommes intervenus durant le tsunami (de décembre 2004 en Asie du Sud-Est) et ce n'était pas aussi complexe, car le gouvernement était toujours opérationnel. Là, le pays est fermé.»

Mme Montpetit croit que les choses vont s'améliorer dans les jours à venir. «D'heure en heure, le matériel et les secouristes arrivent, dit-elle. Les choses se mettent en place. L'évaluation des besoins se fait et nous serons en mesure d'intervenir à une plus grande échelle.»

Pour réussir cela, il faudra cependant que les sauveteurs aient accès à de l'essence. Les ressources en carburant baissent dangereusement dans le pays et il en faut beaucoup pour alimenter tous les véhicules et avions destinés aux secours.

Les Canadiens

Le ministre Cannon et son homologue de la Défense nationale, Peter MacKay, ont annoncé qu'un contingent supplémentaire de 1000 soldats canadiens sera déployé le plus rapidement possible en Haïti. Environ 800 de ces hommes et femmes appartiennent à la base militaire de Valcartier, dont 500 du 3e Bataillon du Royal 22e Régiment.

«Tout le monde veut y aller. Notre principal problème est de freiner le volontariat», a indiqué le lieutenant-colonel Christian Labrosse.

Environ 200 soldats canadiens sont déjà au travail en Haïti et une trentaine d'autres sont partis hier. Tard ce soir ou demain matin, les deux navires partis d'Halifax avec 500 militaires à leur bord devraient mouiller près de l'île.

Si, hier encore, Ottawa confirmait la mort de huit ressortissants canadiens, 1115 autres manquent toujours à l'appel. Depuis le séisme, 1122 Canadiens ont montré signe de vie. L'inquiétude est grande quant au sort des autres.

Enfin, la journée d'hier a été marquée par la visite du secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon. «Je suis ici avec un message d'espoir: l'aide est en route», a-t-il déclaré à un groupe de sinistrés à son arrivée à Port-au-Prince.

Plus tôt dans la journée, il avait déclaré que le séisme haïtien constituait l'une des crises humanitaires les plus graves depuis des décennies.

L'ONU pleure elle aussi la mort de plusieurs représentants dans le pays, dont le diplomate tunisien Hédi Annabi, chef de la mission internationale en Haïti (MINUSTAH).

Avec la collaboration d'Isabelle Audet et d'Agence France-Presse