Colère et désespoir gagnaient les Haïtiens vendredi après le séisme qui a détruit Port-au-Prince, faisant plus de 50 000 morts et 1,5 million de sans-abri, selon une première estimation fournie par le gouvernement trois jours après le drame.

Au cimetière de la capitale haïtienne, les camions déchargeaient à la va-vite des dizaines de cadavres dans une fosse commune creusée par les autorités, sous les yeux d'habitants qui avaient renoncé à organiser la moindre cérémonie funèbre.

«C'était mon père, mon saint père!», hurle une jeune fille, qui pense avoir reconnu un corps, avant de perdre connaissance.

Le premier ministre, Jean-Max Bellerive, a précisé vendredi après-midi que plus de 15 000 corps avaient été ramassés et ensevelis depuis le séisme de mardi.

Malgré le déploiement progressif des parachutistes américains venus assurer la sécurité des secours, les sinistrés déambulaient au milieu des ruines, de la violence et de la puanteur des cadavres, rendue encore plus insoutenable par la chaleur tropicale.

Plus de 50 000 personnes ont été tuées et 250 000 blessées lors du séisme, a annoncé le ministre haïtien de la Santé publique, Alex Larsen. Près de 1,5 million d'Haïtiens sont sans-abri, a-t-il ajouté.

Cette évaluation correspond à celle fournie par la Croix-Rouge, qui a évoqué jeudi le chiffre d'environ 50 000 morts.

Selon l'ONU, 10% des habitations ont été détruites dans l'agglomération de 2,8 millions d'habitants où des équipes de sauveteurs de nombreux pays étaient à pied d'oeuvre.

L'État haïtien a été décapité par le séisme, qui a détruit de nombreux ministères ainsi que la présidence et le parlement. Le ministre de la Santé a indiqué que le siège du gouvernement avait été transféré dans un commissariat de police.

M. Larsen a annoncé que les centres sportifs avaient été réquisitionnés et seraient transformés en centres de soins.

La population, traumatisée par le séisme et exaspérée par les privations, semblait craindre la violence des bandes, dont beaucoup de membres se sont enfuis de prison à la faveur du tremblement de terre.

«Les gens sont affamés, assoiffés. Ils sont livrés à eux-mêmes. C'est de plus en plus dangereux. Il n'y a plus de police, les gens font ce qu'ils veulent», déplore Léon Melesté, un religieux adventiste.

Si rien n'est fait pour satisfaire les besoins urgents de la population, tels que le manque de logements, l'accès à l'eau et à la nourriture, «on court le risque d'avoir des émeutes», a mis en garde le ministre brésilien de la Défense, Nelson Jobim, à son retour de la capitale haïtienne.

L'ONU a lancé un appel d'urgence à la communauté internationale pour récolter 562 millions de dollars pour Haïti. Mais les paroles de réconfort en provenance du monde entier ne suffisent pas à apaiser les Haïtiens.

«Le gouvernement nous bluffe. Il y a des millions de dollars qui rentrent mais on ne voit rien. À la tête de l'État, un groupe d'amis se partage cet argent», accuse Kassana-Jean Chilove, un mécanicien qui a perdu sa fille dans la catastrophe.

Les parachutistes de la 82e division aéroportée de l'armée américaine ont pris le contrôle de l'aéroport Toussaint Louverture où ils débarquaient du matériel lourd, sous les yeux de centaines d'Haïtiens et d'étrangers espérant quitter cet enfer.

D'ici lundi, 9000 à 10 000 GI's seront sur place, à Port-au-Prince ou sur des bâtiments au large, a indiqué le Pentagone.

Les États-Unis ont annoncé la distribution prochaine de 600 000 rations quotidiennes de nourriture et de 100 000 litres d'eau, grâce à l'arrivée du porte-avions Carl Vinson, d'où sont organisées des rotations de vivres par hélicoptères.

Les autorités américaines ont investi 48 millions de dollars pour fournir de la nourriture à 2 millions de sinistrés pendant plusieurs mois, a déclaré le directeur de l'Agence gouvernementale américaine d'aide au développement (USAID), Rajiv Shah. «Vingt mille litres d'eau vont arriver aujourd'hui», a-t-il dit.

Les forces américaines déploieront en outre d'ici dimanche un hôpital de campagne, une quarantaine de médecins militaires et un de leur navire-hôpital doit appareiller samedi pour rejoindre l'île jeudi, où il pourra pratiquer 20 à 25 interventions chirurgicales par jour.

La secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, a annoncé qu'elle se rendrait samedi en Haïti, où les difficultés sur le terrain demeurent immenses. Le port est complètement hors d'usage et les déplacements sont entravés par des routes détruites ou bloquées par des amas de gravats.

Vendredi, la France, qui a dit craindre la disparition de 20 à 30 de ses ressortissants, a demandé l'annulation du restant de la dette d'Haïti au Club de Paris, qui regroupe les principaux créanciers publics.

Washington a décidé d'accorder l'asile temporaire aux Haïtiens sans papiers qui étaient déjà présents sur son territoire le 12 janvier, date du séisme. Ceux qui arriveraient après cette date seront en revanche expulsés.