Stones Jean-Louis a le visage couvert de larmes. Les bras tendus, la jeune femme semble implorer le ciel. «Je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas», crie-t-elle. La femme a la pose typique des survivants de catastrophe qui hurlent leur douleur, sauf qu'elle n'est pas en Haïti. Elle est à Montréal, dans un sous-sol d'église, sans la moindre nouvelle de sa fille de 4 ans, qui gît peut-être sous les décombres de Port-au-Prince.

Assise sur une petite chaise droite dans cette église convertie en centre communautaire, Stones Jean-Louis est l'image même de la douleur. Sa fille est là-bas avec son grand-père, qui a une maison dans le quartier de Carrefour, l'un des plus touchés par la catastrophe. «Je n'arrête pas d'essayer de téléphoner. Il n'y a pas de réponse. Je n'ai peut-être plus de famille.»

 

La petite Brandi, qui vient de souffler ses quatre bougies, adore son grand-père. Elle a tenu à l'accompagner dans son voyage en Haïti. Le nouveau conjoint de Stones Jean-Louis, Éric Beaugé, était aussi du voyage, avec leur autre fille âgée d'à peine 1 an. Mme Jean-Louis n'a pas fait le voyage à cause de son travail.

Éric Beaugé a pris le dernier avion qui a quitté Port-au-Prince après la catastrophe. «Dans l'avion, tout bougeait. On s'est dit: mais qu'est-ce qui se passe? On voyait de la fumée par les hublots. Mais c'est seulement à Montréal qu'on a vraiment su ce qui s'était passé.» Éric Beaugé et sa fille ont eu de la chance. La petite ne s'est rendu compte de rien. Mais sa grande soeur et son grand-père, eux, manquent toujours à l'appel.

Stones Jean-Louis a composé le numéro de téléphone que le ministère des Affaires étrangères met à la disposition des Canadiens qui ont des proches en Haïti. Là-bas, on a pris tous les renseignements concernant sa fille mais, depuis, pas de nouvelles.

Mme Jean-Louis a entendu par une amie qu'il y aurait une rencontre à la Perle retrouvée, un centre communautaire dans le quartier Saint-Michel. Comme des dizaines d'Haïtiens de Montréal, elle s'y est rendue pour avoir de l'aide, du soutien, pour échanger avec d'autres. «En créole, on dit mains ampile, chargé pas lourd. L'union fait la force», dit Gardy Métellus, qui attend encore des nouvelles de sa famille. «On continue à prier. Il n'y a rien d'autre à faire.»

À la Maison d'Haïti, on a aussi reçu beaucoup de monde hier. «Nous travaillons avec le CLSC pour obtenir de l'aide psychologique pour tous ces gens, explique Marjorie Villefranche, la coordonnatrice de l'organisme. Ils ont besoin de soutien, et nous, nous recevons aussi de mauvaises nouvelles. Alors, nous ne sommes pas en mesure de les aider.»

Rodney Castan est l'une de ces personnes venues chercher de l'aide à la Maison d'Haïti. «Je suis comme un chien errant», dit l'homme, qui sanglote, son téléphone cellulaire dans les mains. Il attend désespérément des nouvelles de ses deux frères. «Je veux savoir, mais je ne veux pas savoir. S'il arrive quelque chose à mes frères, je vais devoir appeler ma mère.»

Elda et Lavida Jeudy, soeurs jumelles, ont reçu, elles, les mauvaises nouvelles: leur soeur est morte dans l'effondrement de sa maison, ses deux enfants dans les bras. Leur mère et leur autre soeur sont dans un état critique à l'hôpital. Leur frère s'en est tiré: au moment du séisme, il était sorti faire une course. «Juste avant de partir au travail, ce matin, mon téléphone a sonné. C'était la femme de mon frère. Elle nous a annoncé tout cela», dit Elda Jeudy.

Myrna Dupoux, directrice adjointe à l'école Jules-Verne, en plein coeur de Montréal-Nord, a perdu une nièce dans le séisme. «Je n'ai jamais vu une telle catastrophe de toute ma vie. Port-au-Prince n'existe plus. Et après 72 heures, l'espoir s'amenuise.» L'école primaire, qui compte six enseignants et une forte proportion d'élèves d'origine haïtienne, est en deuil. «L'atmosphère est douloureuse. Tout le monde est triste. C'est notre seule conversation.»