La mère d'Evens Guercy n'aime pas l'hiver. À l'automne, son fils l'a convaincue d'aller passer deux mois au chaud dans son pays d'origine, Haïti. Et aujourd'hui, Evens Guercy cherche sa mère désespérément. Il cherche sa mère, sa soeur, son neveu, sa nièce. Il a composé leurs numéros, à Port-au-Prince, au moins une centaine de fois depuis mardi soir. En vain.

Evens Guercy est policier au poste 30, dans le quartier Saint-Michel, à Montréal. Les situations d'urgence, il connaît. Mais cette fois, c'est sa famille qui se trouve au coeur du drame. «Je n'ai pas dormi de la nuit, raconte-t-il, la voix tremblante. J'ai été au téléphone de 18 h à 3h du matin. Pas de réponse.»

C'est avec les premières images diffusées à la télévision que la famille Guercy - le policier a deux filles - a pris la mesure du drame qui frappait son pays d'origine. «Dans les dernières années, ma famille a survécu à tout. Nous avons une maison solide. Mais quand on a vu les images, le palais, l'ambassade du Canada, des édifices super solides qui se sont effondrés, là, on s'est vraiment inquiétés.»

Evens Guercy devait aller rejoindre sa mère en Haïti pour deux semaines au début du mois de février. Quoi qu'il arrive, il se rendra là-bas. «J'y vais, c'est sûr. Ce sera peut-être dans le malheur parce que nous aurons un décès dans la famille. Sinon, j'irai pour aider. Comme policier ou dans l'humanitaire.»

Au poste 30, cinq autres policiers d'origine haïtienne étaient dans la même situation. «L'un de mes hommes a su par personne interposée que la maison de son père s'était écroulée», raconte le commandant Fady Dagher, qui a appelé chacun de ses hommes frappés par le drame. «Ils sont tous désespérés, très inquiets.»

Dieuveux Lucien, lui, a eu plus de chance. Mercredi, à l'aube, il a réussi à parler à ses quatre frères, qui vivent tout près de l'épicentre du séisme. Les quatre étaient sur leur lieu de travail au moment du séisme. Cependant, leurs enfants étaient tous à la maison. Aux premières secousses, ils sont tous sortis en courant. Aucun d'eux n'a été blessé. Un miracle, raconte Dieuveux Lucien. Il croit cependant qu'il faudra un autre miracle pour que son pays se relève de cette nouvelle catastrophe.

«Haïti... soupire-t-il. C'est fini.»

Ces mots résument l'atmosphère funèbre qui régnait dans les locaux de la Maison d'Haïti, boulevard Saint-Michel. Plusieurs Haïtiens d'origine s'y étaient rassemblés et discutaient en créole sur le ton de l'inquiétude. Des femmes cachaient leur visage dans leurs mains. «C'est la destruction du coeur d'Haïti. Port-au-Prince, c'est 80 % de l'administration, 30 % de la population. C'est la force cognitive, la force d'intervention et tout l'État», explique Wladimir Jeanty, président du conseil d'administration de l'organisme.

Depuis la veille, la Maison d'Haïti a été inondée d'appels. «Nous devenons un pôle d'attraction lors de tels événements. Une sorte de centre de dépannage. Les gens veulent savoir ce qu'ils peuvent faire. Le premier moment de stupeur passé, les larmes viennent. Mais maintenant, il faut se retrousser les manches.»

Dons en argent en priorité

Se retrousser les manches. C'est justement ce qu'ont fait les élus de la communauté, qui ont formé une cellule de crise afin de coordonner l'aide à Haïti. Emmanuel Dubourg, député de Viau, Franz Benjamin, conseiller dans Saint-Michel, et Monica Ricourt, élue dans Montréal-Nord, se sont associés à la Croix-Rouge pour implorer les Québécois d'aider Haïti. «Le message qu'on veut lancer, c'est qu'il faut agir. Nous voulons recevoir des dons en argent en priorité», a lancé M. Dubourg.

Le représentant de la Croix-Rouge, Michel Léveillée, a expliqué que les dons en nature - vêtements, eau et nourriture - sont pour l'instant contre-productifs. «Nous sommes en phase d'urgence. Il faut déployer beaucoup d'équipement, très rapidement. Nous avons un entrepôt au Panama, d'où provient tout le matériel spécialisé utilisé lors de ces catastrophes. C'est pour cela que la meilleure manière de donner, c'est en argent.»

La Coalition humanitaire, formée des groupes Oxfam, Care-Canada et Aide à l'enfance Canada, appelle également les Québécois à donner. La chanteuse d'origine haïtienne Mélanie Renaud, ambassadrice d'Oxfam-Québec, a lancé un véritable cri du coeur : «En voyant un tel désespoir, je pense que l'on ne peut que se montrer généreux.»

Manifestement, en s'organisant en collaboration avec des organismes reconnus, les élites de la communauté haïtienne veulent éviter les nombreux problèmes survenus en 2004, lorsque l'ouragan Jeanne a dévasté Haïti. Un radiothon organisé par la radio communautaire CPAM et l'Organisme d'entraide canado-haïtien avait amassé plus d'un demi-million de dollars qui n'ont jamais été acheminés en Haïti.

«Dans le passé, il y a eu des gestes spontanés, faits de bon coeur. Mais maintenant, nous avons besoin de gestes bien planifiés», dit Wladimir Jeanty. «Les organismes de la coalition comptent plus de 200 ans d'expérience au total», a souligné Pierre Véroneau, directeur général d'Oxfam-Québec. «Nous pouvons vous assurer que nous avons des gens d'expérience qui sont déjà sur le terrain.»

- Avec Daphné Cameron