Alors que les élites politiques japonaises se préparent à de nouvelles joutes à Tokyo pour désigner un premier ministre, le sixième en cinq ans, la colère monte parmi les rescapés de la catastrophe du 11 mars qui s'estiment oubliés.

Près de six mois après le séisme et le tsunami qui ont provoqué un grave accident nucléaire, des dizaines de milliers de personnes continuent de vivre dans des abris surpeuplés et des préfabriqués, sans aucune certitude sur leur avenir.

La réaction jugée trop lente du gouvernement au plus grand désastre frappant le Japon depuis la Deuxième Guerre mondiale a contraint le premier ministre de centre-gauche Naoto Kan, au plus bas dans les sondages, à annoncer sa démission.

«Je suis dégoûté par ce qui se passe là-bas», affirme Ikuko Takita, 60 ans, qui vit dans un préfabriqué depuis que sa maison a été balayée par un tsunami géant le 11 mars à Ofunato, à quelque 420 kilomètres au nord-est de Tokyo.

«J'ai l'impression d'assister à des événements qui se déroulent dans un autre pays.»

Lors de son arrivée au pouvoir il y a deux ans, après un demi-siècle de domination des conservateurs, le Parti démocrate du Japon (PDJ) avait promis de faire de la politique autrement, en donnant la priorité au peuple.

«J'ai perdu confiance dans ce parti», déclare Mme Takita jointe par téléphone. «On dirait que rien ne change, quel que soit le premier ministre.»

Le vainqueur du scrutin de lundi est assuré de devenir le sixième premier ministre en cinq ans, étant donné que le PDJ détient la majorité à la toute-puissante Chambre des députés.

Mais dans le nord-est du pays, où plus de 20 000 personnes ont été tuées ou portées disparues après le passage du tsunami, beaucoup réclament un gouvernement capable de répondre à ce défi majeur et de changer leur vie.

Une grande partie des débris abandonnés par le raz-de-marée a été déblayée, laissant de vastes étendues de boue, et les navires de pêche ont repris progressivement la mer pour ne pas rater la saison du thon.

Toutefois, un retour à la normale n'est pas attendu avant des années et la morosité gagne les rescapés qui survivent tant bien que mal, dans la crainte des répliques sismiques et des radiations qui continuent de s'échapper de la centrale accidentée.

«J'ai l'impression d'être toujours dans un tunnel», déclare Akio Ikuhashi, 61 ans, forcé de se réfugier à Aizu, dans l'ouest de la préfecture de Fukushima, après avoir fui son domicile situé à trois kilomètres seulement du site atomique.

«Je n'ai rien fait de mal, mais j'ai tout perdu», poursuit M. Ikuhashi, qui n'a plus de travail et vit aujourd'hui séparé de sa femme après l'éclatement de son mariage en raison du stress imposé par la catastrophe.

«Qu'est-ce qui peut bien se passer après la démission du premier ministre Kan? Ce qui doit arriver arrivera», confie-t-il sur un ton résigné.

Shinji Sakuma, dont les vaches laitières ont dû être abattues par crainte de contamination radioactive à Fukushima, ne mâche pas ses mots contre les politiciens qu'il juge distants et déconnectés de la réalité dans les zones dévastées.

«Ce n'est pas possible! Est-ce que c'est vraiment le moment de changer de gouvernement au lieu de s'occuper de nous?», s'exclame cet agriculteur de 61 ans.

«Je me fous de savoir qui va devenir le prochain premier ministre. Quel qu'il soit, il faut qu'il mette un terme à la crise nucléaire afin que l'on puisse revenir chez nous dès que possible. C'est ce que tout le monde pense ici.»