Minamisoma est une ville abandonnée, vidée d'une bonne partie de sa population parce qu'elle est située à 20 km de la centrale nucléaire de Fukushima. Rien n'est réglé. À Fukushima, les réacteurs continuent de surchauffer. Cette tragédie a réveillé les vieux démons du Japon: 1945, la bombe, Hiroshima, Nagasaki. La peur du nucléaire. La Presse a visité Minamisoma, puis elle a rencontré une victime d'Hiroshima. Deux tragédies nucléaires, à 66 ans d'intervalle.

Des couloirs déserts, des lits vides. Des fauteuils roulants en désordre. Des civières abandonnées. Et le silence. Le silence d'un hôpital qui s'est vidé sous le coup de la panique. Une employée nettoie les murs à grande eau. C'est le seul bruit qui déchire le silence.

La petite ville de Minamisoma vit la pire crise de son histoire. Elle est située dans la zone critique, à 20 km de la centrale nucléaire de Fukushima. La zone où les gens doivent rester chez eux, fenêtres et système de ventilation fermés pour ne pas respirer de vapeurs radioactives.

Les six hôpitaux de Mina-misoma ont fermé leurs portes. Les médecins ont fui.

Dix médecins ont décidé de rester et d'ouvrir un local au rez-de-chaussée d'un hôpital. Le Dr Yukou Koizumi fait partie du groupe. «Je voulais rester, dit-il. C'est la seule façon que j'aie trouvée d'aider les gens.»

Cheveux gris, regard doux, le Dr Koizumi porte un masque, comme ses collègues et ses patients. Il est d'un calme déconcertant au milieu de l'hystérie ambiante. Il soigne les maux de gorge, les problèmes de tension artérielle, les crises d'angoisse. Il rassure une population abandonnée qui flirte avec la panique.

Même s'il n'a pas peur des radiations, le Dr Koizumi a envoyé ses enfants à Tokyo. Et sa femme? «Elle reste avec moi», répond-il en japonais. Puis il ajoute, dans le peu d'anglais qu'il connaît: «My wife? Together.»

Il vit à 24 km de la centrale.

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La population de Mina-misoma est passée de 70 000 à 20 000 habitants. La peur du nucléaire a eu l'effet d'une bombe. La ville s'est vidée. Seuls restent les vieux, les pauvres, les vulnérables.

Le maire, Katsunobu Sakurai, est dans tous ses états. Il a su que sa ville était au coeur d'une zone dangereuse en consultant le site web de l'entreprise TEPCO, propriétaire de la centrale nucléaire. Personne n'a pris la peine de l'appeler.

Il a été boudé par les médias japonais, qui n'osaient pas mettre les pieds dans la zone maudite. Il a supplié le gouv>ernement de ne pas l'abandonner. Il a même lancé un appel à l'aide sur YouTube.

«On ne reçoit pas de nourriture parce que les camionneurs refusent de venir jusqu'ici, ils ont peur, proteste-t-il. Les rumeurs disent que ma ville est dangereuse. Même les soldats et les volontaires ne veulent pas venir jusqu'ici.»

Le maire est débordé. Petit, traits tirés, lunettes sur le bout du nez, il ne tient pas en place. Il m'accorde sept minutes, pas une de plus.

«Après 17 jours de crise, le gouvernement a finalement envoyé quelqu'un à Minamisoma, dit-il.

- Est-ce qu'il vous a promis de l'aide?»

Le maire ne répond pas. Il sort de la pièce au pas de course, préoccupé par un problème urgent. Un autre. «Désolé, me dit son adjoint. Il a une importante réunion.»

En ville, les rues sont presque désertes, quelques autos roulent prudemment. Les commerces, les restaurants et les banques sont fermés. Minamisoma a aussi été frappé par le tsunami. Bilan: 253 morts et 1260 disparus.

La ville s'étire en longueur. À 20 km de la centrale, un ruban jaune et des cônes bloquent la route. Au-delà s'étend la zone interdite.

Autour de cette zone, quelques rares habitations. Seul le chant des oiseaux brise le silence. N'importe qui pourrait enjamber le ruban et les cônes. Il n'y a ni policier ni soldat, seulement une route déserte et des champs à perte de vue.

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Dans une rue tranquille de Minamisoma, Misako Hayashi travaille dans son jardin. Elle porte un large chapeau et un masque. Elle coupe des épinards. Pourtant, le gouvernement a demandé à la population de ne pas en consommer à cause des traces de radioactivité.

«Allez-vous manger vos épinards?

- Non, répond-elle en riant. C'est pour des amis de Tokyo qui m'ont dit de ne pas les jeter. Ils veulent les laver et les manger.»

Misako Hayashi, 72 ans, se relève péniblement et marche le dos courbé vers sa grande maison, traînant son couteau et son sac rempli d'épinards.

Elle est complètement dépassée. Elle est née et a passé sa vie ici. Aujourd'hui, plus personne ne veut mettre les pieds à Minamisoma. Au début de la crise, elle a fui dans une ville voisine, puis elle s'est installée chez son frère, à Tokyo.

Hier, elle a décidé de revenir à Minamisoma, mais elle hésite. Rester? Vivre enfermée? Retourner à Tokyo?

Elle ne sait plus qui croire. Une chose est certaine, elle est en colère. Son frère et son mari aussi. Assis autour de la table de la salle à manger, ils se vident le coeur.

«Le gouvernent nous a toujours dit: c'est sans danger, ne vous inquiétez pas! dit Noboru, le frère de Misako. Et là, il nous laisse tomber. Il ne sait pas comment régler cette crise!»

«Quand la centrale a décidé de s'installer ici, on a protesté, ajoute Hirotsune, le frère de Misako. La compagnie s'en fichait. Elle s'est installée sans rien nous demander.»

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Le soir, le maire m'a rappelée. Il voulait s'excuser pour son départ précipité. Il a passé l'après-midi à discuter avec des soldats et un représentant du gouvernement.

Et alors?

Ils ont parlé des cadavres qui pourrissent dans la zone interdite et que personne n'ose ramasser. Et aussi des problèmes d'approvisionnement en nourriture.

Optimiste?

«Je ne sais plus, répond-il. Si la centrale continue d'avoir des problèmes, rien ne sera réglé, absolument rien.»