Sunao Tsuboi n'a vécu en bonne santé que vingt ans, son âge quand il a été atrocement brûlé dans la fournaise nucléaire d'Hiroshima. Les rejets radioactifs de la centrale de Fukushima «réveillent en nous les terreurs les plus profondes», dit-il.

L'octogénaire est l'un des hibakusha, les survivants du premier bombardement atomique de l'Histoire, effectué par l'armée américaine.

Sur une photographie qu'il sort d'un tiroir de son bureau, situé à proximité du Mémorial pour la paix d'Hiroshima, on le voit le 6 août 1945, trois heures seulement après l'explosion de la bombe à 580 mètres au-dessus de la ville.

Comme d'autres étudiants et lycéens, sa peau part en lambeaux. Pour soulager leur calvaire, des soldats les badigeonnent d'huile de cuisine, dans un décor d'apocalypse.

M. Tsuboi a perdu le pavillon de ses oreilles et son front est marqué par la dépigmentation. Il cache son corps rongé par les cancers sous un costume à rayures impeccable.

Les accidents à Fukushima, à plus de 800 kilomètres à vol d'oiseau d'Hiroshima, redonnent un souffle au combat de son existence.

«Le nucléaire ne peut coexister avec l'être humain», lance-t-il avec conviction. «La vie est plus importante que l'économie».

«Le gouvernement dit sans arrêt que le niveau de radioactivité échappée de Fukushima n'est pas dangereux. Mais pour nous qui connaissons bien les irradiations internes, c'est très grave. Il faut que les gens sachent que les effets durent des années et des dizaines d'années. Nous l'avons vécu».

D'autres hibakusha rencontrés par l'AFP à Hiroshima affirment la même chose.

Comme Hashizume Bun, auteur de Le jour où le soleil est tombé. J'avais 14 ans à Hiroshima. Elle se trouvait à moins d'un kilomètre et demi de l'hypocentre de l'explosion.

«J'ai encore aujourd'hui des éléments radioactifs dans mon organisme. J'ai eu trois fils, puis quatre petits-enfants. À chaque fois qu'ils ont une maladie quelconque, nous avons peur. C'est ce qui attend les victimes de Fukushima».

Mme Bun, 80 ans, a été invitée dans 70 pays pour témoigner. «J'espère que Fukushima va permettre de renverser la tendance mondiale vers la nucléarisation», prêche la militante pacifique.

Elle confie être «attristée» par la «renaissance» des centrales sous prétexte qu'elles n'émettent pas de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique. «Si l'on n'arrête pas, le monde finira irradié».

Au bouleversant musée d'Hiroshima, les visiteurs circulent, l'air grave. Des photos et des objets sont insoutenables, tels ces ongles noirs déformés, perdus par les rescapés.

Tout est expliqué sur les contaminations alimentaires, le danger de rayonnements, la dissémination des radioéléments. Comment ne pas penser au nord-est du Japon, en proie à une psychose sur ces mêmes sujets?

Shoji Kihara, ingénieur des PTT nippones, est un hibakusha de la deuxième génération. Né en 1949, il a vu mourir au fil des années son père, sa mère et sa soeur, irradiée alors qu'elle n'était qu'un foetus. Il est «indigné» par les récents propos rassurants des autorités sur la radioactivité de Fukushima.

«Ils n'arrêtent pas d'affirmer qu'il n'y a pas d'effet immédiat comme des lésions cutanées. Mais de tels symptômes sont provoqués par des irradiations très importantes. C'est sûr qu'il y aura des effets à moyen et à long terme».

Hiroshima est aujourd'hui une ville moderne, aux galeries marchandes animées. Un seul bâtiment subsiste pour témoigner, le Dôme de la bombe atomique (Genbaku Domu), à la charpente calcinée.

Non loin se dresse le Cénotaphe, une arche surplombant un tombeau où sont inscrits les noms des victimes. En ce jour de semaine, des visiteurs s'approchent en silence et s'inclinent de façon recueillie.

Ils peuvent lire une promesse, gravée dans la pierre: «Reposez en paix, nous ne laisserons pas se reproduire la tragédie».