Le scandale des écoutes électroniques illégales, qui ébranle la presse et le gouvernement britanniques depuis l'été 2011, a connu hier un nouveau rebondissement avec la publication d'un rapport très attendu destiné à prévenir les dérapages médiatiques. Notre collaborateur à Londres fait le point sur les conclusions de cette enquête publique qui critique les tabloïds.

Après plus d'une année d'entretiens avec des journalistes, des vedettes et de simples citoyens victimes d'écoutes téléphoniques illégales, entre autres, le juge Brian Leveson a dévoilé hier les conclusions de son rapport sans précédent sur les médias.

Ses recommandations pourraient toucher l'ensemble de la presse nationale. À condition que le premier ministre David Cameron accepte de les appliquer, ce qui semble pour le moment peu probable.

M. Cameron et certains de ses proches ont eux-mêmes été embarrassés par leurs liens avec des journalistes aux pratiques malhonnêtes, dont Rebekah Brooks, ex-rédactrice en chef du News of the World, tabloïd par lequel le scandale a éclaté.

Ce journal du magnat de la presse Rupert Murdoch a fermé après la mise au jour de ses pratiques illégales. Le tabloïd a intercepté des milliers d'appels et de courriels de personnalités publiques, avec la complicité de policiers corrompus.

Au total, 13 enquêtes indépendantes, parlementaires ou policières sur les agissements de la presse sont en cours. Elles ont conduit à une cinquantaine d'interpellations et aux inculpations de personnalités très en vue, dont Andy Coulson, ex-responsable du News of the World et de la communication de M. Cameron.

Une presse très critiquée

«Scandaleuse», «dévastatrice», «parfois irrespectueuse de la réalité des faits et du mal commis», «trop proche de la police [...] et des hommes politiques». La presse britannique, et en particulier les tabloïds, n'a pas été épargnée par le juge Leveson. Si le magistrat n'a pas placé tous les médias dans le même sac - ils servent «bien le pays la majorité du temps» -, de nombreux témoignages ont exposé le non-respect des lois par certains médias.

Un nouvel organisme de contrôle?

Afin d'empêcher tout dérapage futur, il a recommandé la mise en place d'une structure de supervision déterminée par la presse elle-même, mais inscrite dans la loi. Sa direction serait totalement indépendante «de l'industrie et du gouvernement». Cet élément législatif est capital, selon Brian Cathcart, professeur de journalisme et président de l'association Hacked Off, qui s'est levé contre les écoutes illégales pratiquées par les tabloïds. «Cette mesure est destinée à s'assurer que l'organisme de contrôle répondra à certaines normes, sans quoi il ressemblera à l'organisme actuel», qui a avoué sa propre inefficacité.

Des amendes pour les délinquants

Ce nouvel organisme «devra posséder assez de pouvoir pour mener des enquêtes sur des infractions sérieuses ou systématiques du code de pratique». Il devra notamment pouvoir imposer des amendes équivalant à 1% du chiffre d'affaires des journaux et d'un montant maximum de 1,6 million de dollars. Les victimes de diffamation devront également pouvoir porter plainte rapidement et pour un coût peu élevé, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Encadrer les tabloïds

Lors de son témoignage, le propriétaire du Daily Express, l'un des quotidiens incriminés, s'est excusé auprès de victimes diffamées, mais n'a pas semblé regretter ses pratiques. «Pour les 38 articles diffamatoires que le journal a imprimés, il y en avait 65 ou 70 de bons!», a-t-il lancé. Avec la possibilité d'amendes importantes et surtout de poursuites rapides, les responsables des journaux hésiteront sans doute à imprimer n'importe quelle rumeur. Par ailleurs, dans un désir de rendre plus transparentes les relations entre les responsables des journaux et les politiciens, ces derniers sont encouragés à rendre publique chacune de leurs rencontres avec des membres de la presse.

David Cameron dans l'embarras

S'il s'est dit favorable à l'application «des principes» énoncés par le juge Leveson, le premier ministre britannique s'est opposé à la mise en place d'une législation «qui aurait le potentiel d'atteindre à la liberté de parole et à la liberté de la presse [...]. Le danger est que cela créerait un véhicule qui permettrait aux politiciens d'imposer aujourd'hui ou dans l'avenir une réglementation et des obligations à la presse». Le chef du gouvernement ne veut en effet pas perdre le soutien des tabloïds, qui pourraient retourner contre lui leurs millions de lecteurs. Le voilà donc coincé: comme l'a clairement expliqué la numéro deux du Parti travailliste Harriet Harman, «si le premier ministre ne réfléchit pas encore à sa position, il se sera rendu aux puissants intérêts de la presse et aura trahi les victimes».

-Avec l'agence Frane-Presse