Par une nuit de brouillard, un bateau quittera le port de l'île de Tiree, dans les Highlands, avec à son bord le bulletin qui décidera du sort du Royaume-Uni.

Je n'écris pas ça pour faire pittoresque, enfin presque pas. Les méthodes de comptage écossaises (mais britanniques en général) sont telles qu'on ne connaîtra pas le résultat national officiel du référendum avant 6 ou 7h demain matin, heure locale.

«Obtenir le résultat juste est plus important que de l'obtenir rapidement», a écrit l'an dernier Mary Pitcaithly, directrice du comptage, dans un document explicatif.

Il y a 32 régions électorales, chacune comptant ses bulletins dans un endroit unique. Il faut donc acheminer toutes les boîtes de scrutin dans un centre unique de comptage pour chaque région. À Glasgow ou Édimbourg, ce n'est pas particulièrement compliqué. Mais dans les îles du Nord-Ouest, on doit les acheminer sur la terre ferme, la petitesse de la population ne justifiant pas de centre de comptage local.

Dans la région d'Argyll et Bute, dans les Highlands, «en raison de la difficulté de récupérer les boîtes de scrutin la nuit, ils ont l'habitude de compter les bulletins le jour suivant». Mais ce vote étant historique, on fera une exception...

Toute une exception: des hélicoptères ont été réquisitionnés. Mais s'il pleut? S'il y a trop de brouillard?

Ce sera par voiture jusqu'au port, puis par bateau.

D'où ce scénario, pas farfelu du tout quand on considère: 1) les risques élevés, pour ne pas dire la tradition de mauvais temps en Écosse et 2) les sondages qui donnent les deux camps au coude à coude...

Un bateau dans le brouillard, dans une mer démontée, avec le bulletin gagnant...

Ça se peut!

La directrice du comptage conclut qu'il est «peu probable» que le résultat soit connu «dans les premières heures de la nuit».

Les résultats des élections au Parlement britannique, en 2010, ont été connus à 6h30 et ceux des élections au Parlement écossais, en 2011, à 7h30.

Certes, compter des oui, non ou nul est moins long que de démêler les votes d'une multitude de candidats. Mais 97% des électeurs sont inscrits (4 285 323 personnes), du jamais vu, et si le taux de participation est ce qu'on pense, il y aura 25% de plus de bulletins à compter.

Les 32 «compteurs» ont été consultés et ont estimé leur heure de «livraison» de résultats. Elle se situe entre 2h et 6h du matin. Les deux grandes villes, Glasgow (11,5% du vote total) et Édimbourg (8,7%) prévoient livrer à 5h.

Chaque résultat local est vérifié par la directrice nationale et peut ensuite être annoncé un après l'autre. Mais comme les plus gros morceaux ne seront livrés qu'à la fin, le résultat national se fera attendre.

Bref, on n'est pas couchés.

Derniers sondages: le Non en avance

Dans les rues, le Oui est beaucoup plus visible. Pancartes, rassemblements, cocardes, t-shirts... Les militants sont gonflés d'optimisme vu les sondages des dernières semaines, qui ont vu décoller l'option, et même la placer en avance légèrement dans plusieurs sondages pour la première fois (sauf rarissime exception) en deux ans.

Mais tout ça peut être trompeur, dit le politologue John Curtice, de l'Université Strathclyde à Glasgow, reconnu comme l'autorité en matière d'analyse de sondages en Écosse.

Les trois derniers sondages publiés disent essentiellement la même chose: le Non est en avance de 2 à 4 points.

«Le Non est en avance et a plus de chances de l'emporter, mais je ne gagerais ma maison sur aucune des deux options», me dit-il au téléphone.

Plus tôt cette semaine, il a publié une analyse de sondages internationaux parus les jours avant un référendum dans différents pays - dont celui du Québec en 1995. Conclusion: dans la quasi-totalité des cas, le Oui a été surestimé dans les sondages faits tout juste avant le jour du vote. Pourquoi? Les «indécis» sont une catégorie de répondants qui ont tendance à être davantage «Non».

Les sondages écossais sont prudents et écartent les indécis des résultats. Exemple: si on obtient, comme lundi, 44% de Oui, 48% de Non et 8% d'indécis, le sondeur en conclura prudemment à un partage 48-52 en faveur du Non. «Il est bien possible que ce soit moins serré qu'il n'y paraît.»

«Il y a 1 million de personnes de plus sur la liste électorale, c'est considérable, mais le problème, c'est qu'on ne sait pas qui sont ces gens. Le plus important sera le taux de participation - qui n'est pas la même chose: encore faut-il que les inscrits votent.»

Le Oui a fait un effort particulier pour faire inscrire des gens qui n'avaient jamais voté, des gens désabusés de la politique. Peut-être déjoueront-ils les sondeurs?

«Tout est possible, et en vérité, on n'en a aucune idée, ce n'est pas une clientèle qui va nécessairement aider le Oui», dit-il.