Explorateur des bizarreries du monde quantique, le Français Serge Haroche, co-lauréat mardi du prix Nobel de physique, a réussi l'exploit de piéger et d'observer des photons, insaisissables particules de lumière, qu'Einstein lui-même rêvait d'emprisonner dans une boîte.

Serge Haroche et son équipe du laboratoire Kastler-Brossel de l'École normale supérieure (ENS) de Paris ont fait mieux: contrôler et maintenir en temps réel le nombre de photons ainsi capturés.

Une avancée phénoménale dans le domaine des particules élémentaires, soumises aux lois étranges de la physique quantique qui régit l'infiniment petit et déroge de manière déconcertante à la physique classique s'appliquant à l'échelle humaine.

Dans la théorie quantique, «la logique microscopique défie toujours notre intuition classique», résumait en 2010 Serge Haroche.

Dans notre monde macroscopique quotidien, celui des gros objets, une porte est soit ouverte, soit fermée, pas les deux à la fois. Dans l'infiniment petit, un atome ou un électron «peut se trouver en plusieurs lieux à la fois», suspendu entre deux états possibles, comme s'il avait le don d'ubiquité. Il peut être dans un «état de superposition», selon les termes de la physique quantique.

Autrement dit, un atome radioactif peut être à la fois intact et désintégré.

En 1935, le physicien autrichien Erwin Schrödinger avait illustré le phénomène en imaginant un chat emprisonné dans une boîte. Selon cette image, purement théorique, le chat de Schrödinger serait suspendu entre la vie et la mort, du moins jusqu'à ce qu'un observateur modifie cet état par le simple fait de l'observer, tuant le chat.

Dans la vie réelle, un chat est bien sûr mort ou vivant, car il s'agit d'un objet macroscopique qui s'affranchit des bizarreries quantiques.

«Un des problèmes qu'on se pose, c'est le passage du quantique au classique, le phénomène de 'décohérence'. Pourquoi et comment les objets quantiques deviennent de plus en plus fragiles au fur et à mesure qu'ils grossissent?», explique à l'AFP Jean-Michel Raimond, collaborateur de Serge Haroche à l'ENS.

Pour en avoir le coeur net, Serge Haroche et ses collègues ont tout simplement décidé de faire eux-mêmes des «chats de Schrödinger» avec des photons !

Pas si simple puisque d'habitude, cette particule de lumière est détruite aussitôt qu'on l'observe, que ce soit nos yeux ou un détecteur qui la captent.

«Décohérence»

Grâce à des technologies complexes, Serge Haroche et son équipe ont réalisé la «boîte à photons» dont Albert Einstein avait rêvé. Ils ont piégé plusieurs photons l'un après l'autre, sans les détruire, dans une petite cavité dotée de miroirs supraconducteurs, très réfléchissants. Les «grains de lumière» y restaient captifs pendant 0,13 seconde en moyenne, le temps pour un photon libre de parcourir 40.000 km.

Selon M. Raimond,, «nous, on piège des photons et on les voit individuellement», l'Américain David Wineland, qui partage le Nobel avec Serge Haroche, quant à lui, «piège des ions et les observe sans les détruire».

Observer ainsi la «décohérence», c'est «regarder fonctionner la mécanique quantique dans ce qu'elle a de plus élémentaire», souligne-t-il.

Quelles applications concrètes envisager puisque la magie quantique s'évanouit dès qu'elle se frotte à notre monde ?

«L'application de ce qu'on contribue à défricher, c'est la cryptographie quantique et l'ordinateur quantique», qui offre un potentiel de calcul inégalé, estime Jean-Michel Raimond.

Les expériences de l'ENS «sont des prototypes de ces systèmes-là, celles de Wineland autant, sinon plus», souligne le physicien.

La «simulation quantique», c'est-à-dire l'utilisation de systèmes quantiques qu'on contrôle bien pour en comprendre d'autres plus mystérieux, paraît prometteuse.

En revanche, «un ordinateur quantique complètement programmable restera sans doute un rêve difficile d'accès», juge M. Raimond.

«Il faudrait avoir suffisamment de qualité dans les observations des particules pour pouvoir vaincre la décohérence, la 'mort du chat'. Aujourd'hui, on comprend bien pourquoi le chat ne veut pas être mort et vivant à la fois. À présent, il faut arriver à la dompter, à l'utiliser ou à la limiter», insiste-t-il.