En dépit des menaces de représailles de la Chine, le prix Nobel a été attribué hier au dissident Liu Xiaobo. De Tiananmen à la «Charte 08», Liu Xiaobo, qui purge actuellement une peine de 11 ans de prison, est l'un des symboles forts de la lutte pour les droits de l'homme en Chine.

Intellectuel en vue, ancien professeur de l'Université Columbia aux États-Unis et de l'école normale de Pékin, Liu Xiaobo, 54 ans, a participé en 1989 au soulèvement étudiant de la place Tiananmen. Aux côtés de trois autres militants, il a convaincu, quelques heures avant la sanglante répression, des étudiants de quitter pacifiquement les lieux.

Emprisonné, il est relâché en 1991 pour avoir fait acte de repentance. Cinq ans plus tard, il coécrit une lettre ouverte pour demander la destitution du président chinois de l'époque: ce geste lui vaudra trois ans en camp de rééducation par le travail.

En 2008, Liu Xiaobo cosigne la «Charte 08», un document appelant à la réforme politique, demandant l'extension des libertés politiques et la fin de la domination du parti communiste. En 2009, il est condamné à 11 ans de prison pour «incitation à la subversion du pouvoir de l'État», un chef d'accusation réservé aux opposants politiques.

Salué dans le monde, décrié par la Chine

De Barack Obama au dalaï-lama en passant par Stephen Harper et le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, l'attribution de ce prix Nobel a suscité hier des réactions très favorables à travers le monde.

«L'année dernière, j'ai noté que tant d'autres qui ont reçu ce prix avaient accepté davantage de sacrifices que moi, a dit le président américain. Cette liste comprend maintenant M. Liu.»

La Chine n'a pas caché sa forte désapprobation hier et a dénoncé un «blasphème» contre la paix. «Liu Xiaobo est un criminel condamné à une peine d'emprisonnement par les organes judiciaires pour avoir enfreint les lois chinoises», a fait valoir le ministère des affaires étrangères chinois. Pékin pourrait aussi sévir contre la Norvège, important partenaire économique de la Chine.

Une aide pour les droits de l'homme en Chine?

Devenue un géant économique, la Chine doit maintenant se démocratiser, estime le comité Nobel norvégien.

«Il y a certainement des progrès à faire pour garantir aux Chinois la liberté d'expression et la liberté d'association. Les avocats qui ont essayé, après le tremblement de terre de 2008, d'obtenir des réparations pour les familles des victimes sont en prison: il y a un réel besoin pour la Chine de développer ce front», dit Kimberley Manning, professeure en science politique à l'Université Concordia de Montréal.

Depuis sa création en 1901, le prix Nobel a récompensé des dirigeants politiques (ce fut le cas de Barack Obama, en 2009, d'Henry Kissinger, en 1973, ou de Yasser Arafat, Shimon Peres et Yitzhak Rabin, en 1994) mais aussi des dissidents (Lech Walesa, en 1983, Desmond Tutu, en 1984 ou encore Aung San Suu Kyi, en 1991).

S'il ne suffit pas toujours à résoudre les conflits, le prix Nobel de la paix apporte une crédibilité à une revendication politique. «Cela pousse un gouvernement autoritaire à la prendre en compte, estime Nicolas Lemay-Hébert, directeur de l'Observatoire sur les missions de paix à la chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM. C'est un levier de pouvoir qui peut amener certaines luttes vers la paix.»

Reste une inconnue: la réaction des Chinois, soumis à une forte censure, face à ce prix Nobel. «Peu de gens savent qui est Liu Xiaobo. Leur réaction dépendra de la façon dont les autorités en parlent», observe Mme Manning.

Des Nobel de la paix à des dissidents

Ce n'est pas la première fois que le prix Nobel de la paix est remis à une personnalité privée de liberté ou à des dissidents et opposants politiques. Avant Liu Xiaobo, un autre opposant de la Chine s'est vu remettre le prix Nobel en 1989: le dalaï-lama, en exil depuis 1959. Aung San Suu Kyi obtenait en 1991 le prix Nobel de la paix pour son combat pacifique pour la démocratie en Birmanie. Elle est emprisonnée depuis 18 ans. En 2003, l'Iranienne Shirin Ebadi a été récompensée pour sa lutte en faveur de la démocratie et des droits de l'homme, en particulier ceux des femmes et des enfants. Après 27 ans en prison, Nelson Mandela a obtenu le prix Nobel de la paix en 1993, aux côtés du président sud-africain Frederik de Klerk. Martin Luther King est le plus jeune lauréat du Nobel de la paix, qu'il obtient en 1964, à 35 ans.

- Avec AP et AFP