Tout avait pourtant si bien commencé. La liberté d'expression, habituellement sous haute surveillance dans le pays des ayatollahs, semblait avoir gagné beaucoup de terrain à la veille de l'élection présidentielle.

Vêtus de vert, les centaines de milliers de partisans du principal candidat réformiste, Mir Hossein Moussavi, croyaient déjà à leur victoire contre le président Ahmadinejad. Poussant leurs foulards vers l'arrière pour dévoiler des cheveux blonds, roux ou noisette, des jeunes femmes de Téhéran accordaient des entrevues aux médias étrangers. À la télévision nationale, les trois candidats rivaux du président sortant s'en donnaient à coeur joie pour critiquer le bilan des quatre dernières années.

Tout ça sentait le Printemps de Prague ou la révolution orange ukrainienne à plein nez. D'ailleurs, la majorité des Iraniens semblent avoir été gagnés par la fièvre électorale. Alors que les élections présidentielles de 2005 ont été largement boycottées, le scrutin de vendredi a attiré 85% des électeurs iraniens. Les bureaux de scrutin, qui ont parfois manqué de bulletins, sont restés ouverts six heures de plus que prévu.

Avec une telle participation, le résultat du vote promettait de donner le pouls de la population iranienne: qu'allaient préférer les électeurs entre un président provocateur qui tient tête à l'Occident, défend l'enrichissement d'uranium, nie l'Holocauste, mais promet de redistribuer les richesses du pétrole, et un ancien premier ministre, fidèle au souvenir de l'ayatollah Khomeini, mais favorable aux libertés individuelles et au dialogue avec l'Ouest?

Un bien court printemps

Plusieurs attendaient la réponse sur le bout de leur chaise. Mais il semble maintenant clair qu'ils ne l'obtiendront jamais.

Quelques heures à peine après la fin du vote, un responsable du ministère de l'Intérieur annonçait la victoire écrasante de Mahmoud Ahmadinejad au premier tour de scrutin. Selon le décompte officiel, ce dernier a obtenu plus de 62,6% des voix contre 34% pour Mir Hossein Moussavi. Les deux autres candidats se sont contentés de grenailles.

Le dépouillement des voix s'est fait derrière des portes closes, avec peu de transparence et aucune supervision internationale.

En deux heures, le résultat était annoncé par l'agence de nouvelle de la République islamique, l'IRNA, contrôlée par le gouvernement en place. Comment les autorités ont-elles pu dépouiller des boîtes de scrutin, provenant parfois de l'étranger ou de coins reculés de l'Iran, en deux heures? ont alors demandé les critiques.

M. Moussavi a vite dénoncé les irrégularités du vote, rejeté la validité du résultat et demandé au guide suprême de la révolution, l'ayatollah Ali Khamenei, d'intervenir pour rétablir la justice.

Qualifiant les résultats de l'élection de «mensonges, d'hypocrisie et de fraude», le réformiste défait a demandé à ses partisans de le soutenir.

Même s'il a enjoint ses partisans au calme, la grogne ne s'est pas fait attendre. Des milliers de personnes - parmi les mêmes qui ont manifesté pacifiquement la semaine dernière - sont à nouveau sortis dans les rues. Ces manifestations ont vite tourné au vinaigre quand la police antiémeute les a dispersées à coup de matraques et de gaz lacrymogène. Des affrontements violents ont eu lieu aux quatre coins de la capitale.

«À bas la dictature»

Les forces de l'ordre, qui sont restées passives pendant les rassemblements politiques préélectoraux, ont vite montré de quoi elles étaient capables: au moins une personne a été tuée dans les émeutes et des dizaines d'autres blessées. Le réseau cellulaire, qui permettait aux partisans de M. Moussavi de s'organiser, a été verrouillé et l'Université de Téhéran, siège du mouvement étudiant, bouclée.

La réaction des policiers n'a pas empêché les manifestants de monter le ton. «À bas la dictature», «À bas le gouvernement du coup d'État» sont parmi les slogans qui ont retenti dans Téhéran. Ces coups de gueule témoignent d'un durcissement de la dissidence parmi les jeunes Iraniens, largement majoritaires dans le pays.

À eux seuls, les Iraniens de moins de 30 ans forment 70% des 67 millions de citoyens que compte le pays. Durement frappée par le chômage - évalué à près de 25%, cette génération, née après la révolution, est un baril de poudre prêt à exploser, selon bien des experts de l'Iran.

Les jours qui suivront seront cruciaux pour l'avenir de la République islamique. Le régime chiite, dont l'ayatollah Khamenei tient les rênes, répondra-t-il politiquement à la colère des partisans de Moussavi ou aura-t-il recours à la violence, aux exécutions arbitraires et à la terreur politique comme il l'a si souvent fait dans le passé pour écraser la dissidence?

Le court printemps électoral se terminera-t-il comme celui de Prague, avec l'imposition d'une chape de plomb, ou la participation massive aux élections aura-t-elle prouvé au pouvoir religieux que l'Iran doit composer avec une nouvelle force vive: sa jeunesse?

De la réponse dépendra l'image que le monde entier aura du pays le plus puissant du Moyen-Orient et du coup, de la place qui lui sera accordée à la table des nations. Il y a fort à parier que Barack Obama ne sera pas intéressé à renouer des liens avec un État sanguinaire.