Un Noir candidat à la présidence! Dans un pays où les Afro-américains ont souffert pendant des siècles de l'esclavage et de la ségrégation, l'ascension d'Obama aurait été utopique il n'y a pas si longtemps. Le racisme américain est sournois: condamné publiquement, il s'accroche toujours dans l'inconscient. Et, dans la présente campagne, la question est incontournable.

À seulement 23 ans, Tynesha McHarris a un parcours impressionnant. Diplômée universitaire en travail social, elle a été honorée pour son engagement auprès des jeunes. Elle a voyagé, donné des conférences, a même failli être élue commissaire scolaire.

 

Et malgré tout ça, les employeurs qui reçoivent son curriculum vitae ne la rappellent pas. «S'ils ne voient que mon nom, je n'ai jamais d'appel. Tynesha, c'est un nom de ghetto noir!»

Elle éclate de rire en le disant, mais c'est un rire plein de dépit, de rage aussi. «J'ai dirigé un très bon programme contre le décrochage scolaire. J'ai trouvé l'argent pour l'implanter. Mais je dois toujours parler plus fort que les autres, parce que je suis une femme et que je suis noire. Les gens viennent me voir et me disent: Oh! Vous vous exprimez avec tant d'aisance, honey! Comme si c'était si surprenant qu'une Noire puisse aligner deux mots!»

Dans un café de Broad Street, Tynesha McHarris parle avec passion de «ses» ados noirs exclus de l'école, «mais qui sont loin d'être stupides». Il faut dire que les Noirs de Newark, qui représentent plus de la moitié des 266 000 habitants de la ville, en arrachent. Théâtre d'émeutes raciales en 1967, Newark souffre toujours d'une fracture sociale. Le quart des résidants vivent sous le seuil de pauvreté. Le taux de chômage est deux fois plus élevé que la moyenne nationale. Les écoles sont qualifiées de «manufactures à décrocheurs». Et huit emplois sur dix à Newark sont détenus par des gens qui habitent la banlieue, en majorité des Blancs.

Racisme silencieux

À petite échelle, Newark illustre bien la situation raciale américaine. Les Afro-Américains peinent à s'extirper de leur misère. Plus pauvres, moins instruits, ils sont surreprésentés dans les prisons. «Les gens qui croient que le racisme n'est plus un problème dans ce pays, eh bien! Ils ne sont pas noirs!» dit Tynesha McHarris. «Lorsque vous faites partie d'un groupe minoritaire, que vous soyez une femme, une personne de couleur, un homosexuel, un autochtone, vous pouvez voir ce que les autres ne voient pas.»

Tynesha McHarris voit notamment des écoles en décrépitude qui n'ont rien pour retenir les jeunes. Elle voit aussi un système judiciaire qui punit plus facilement les consommateurs de crack - plus populaire chez les pauvres - que de cocaïne. Plusieurs jeunes finissent en prison pour de petits délits. À leur sortie, avec une amende salée à payer, incapables de trouver un job, ils retombent dans la criminalité. Et retournent en prison. «Quand on sait que les prisons sont privatisées, on voit bien qu'il y a de l'argent à faire avec eux.»

Le racisme institutionnel - et silencieux - est toujours bien ancré aux États-Unis. À compétences égales, les Blancs choisissent plus souvent un Blanc qu'un Noir. Une étude de l'Université de Stanford publiée en septembre a aussi révélé que les appuis envers Barack Obama seraient 6% plus élevés s'il était blanc.

«Je ne sais pas si mes concitoyens voteront pour un Noir. Je suis déjà étonné qu'un Noir ait pu aller si loin», dit Richard Cammarieri. Blanc, né et élevé à Newark, il travaille pour New Community Corporation, un organisme qui gère des logements sociaux dont bénéficient plusieurs familles noires. Il s'étonne de voir les Américains connaître si mal leur histoire et l'apport des Noirs. «Ce pays a été bâti avec des gens qui ont été enlevés en Afrique», dit-il. «Et les Noirs ne sont pas devenus citoyens égaux lors de l'abolition de l'esclavage en 1865. Ils n'ont eu droit d'exercer pleinement leur droit de vote qu'à partir de 1965!»

«Parce qu'ils sont noirs»

Broad Street, donc, au centre-ville de Newark. La grande rue commerciale n'affiche pas d'enseignes réputées, si ce n'est McDonald's ou Subway. Il y a des magasins d'escompte, des prêteurs sur gages, des vitrines barricadées, des hommes désoeuvrés à l'air hagard. Un grand immeuble abandonné d'une dizaine d'étages affiche toujours le nom du dernier locataire, S. Klein On the Square, un grand magasin disparu en 1976.

Mais de l'autre côté du chemin de fer, le paysage change complètement. Ironbound, le quartier des Latino-Américains, grouille d'activité. La communauté hispanique, celle qui croît le plus vite aux États-Unis, se serre les coudes pour améliorer son sort. Et affiche bien peu de sympathie pour les Afro-Américains.

«Pourquoi il y a tant de problèmes là-bas? C'est parce qu'ils sont noirs!» lance Paulo Rodriguez dans son magasin de jouets, avant d'ajouter: «N'y allez pas, c'est dangereux.»

Baume sur la misère noire, l'arrivée de Barack Obama suscite beaucoup, beaucoup d'espoir. Le nom du sénateur démocrate de l'Illinois est partout. Même les candidats aux élections municipales promettent d'apporter «le changement Obama».

«Nous souffrons du complexe de Jésus-Christ!» déplore Tynesha McHarris. «Regardez les leaders charismatiques comme Martin Luther King, ou Malcolm X. Nous attendons celui qui viendra nous sauver de la misère! Et nous pensons qu'Obama est notre Sauveur. Well, il ne l'est pas.»

Tynesha McHarris admire Obama, mais garde la tête froide. Elle s'inquiète des attentes que suscite Obama dans la communauté noire. «S'il perd, qu'arrivera-t-il du sentiment de pouvoir qu'il a inspiré? Et s'il gagne, qu'arrivera-t-il s'il est incapable de répondre aux attentes?»

Booker, l'Obama de Newark

«Newark est un bon exemple de ce pourquoi on ne peut être certain de l'effet Obama à la présidence», dit Tynesha McHarris.

Cory Booker, Afro-américain de 39 ans, est arrivé à la tête de Newark en 2006. Il a alors hérité d'une ville minée par les scandales de corruption des administrations précédentes, qui s'ajoutent aux autres calamités qui s'abattent sur ses citoyens depuis 40 ans. Diplômé en droit de Yale, Booker a été persuadé par un mentor originaire de Newark que la mal-aimée du New Jersey avait besoin de quelqu'un comme lui. Les attentes envers lui étaient énormes. Et après deux ans, l'enthousiasme s'est refroidi. «Je ne pense pas qu'il ait su y faire face, dit Richard Cammarieri. Il aurait dû publiquement tenter de calmer les attentes.» La criminalité baisse, mais le chômage, la pauvreté et le décrochage scolaire restent importants. D'où la grogne de ses électeurs. M. Cammarieri reconnaît qu'il faut être patient. «Les gens se plaignent que Cory se servirait de Newark comme tremplin politique. So what? S'il réussi ici, nous allons tous en profiter.»

Ce que les candidats ont dit:

«Le racisme est un thème que notre pays ne peut se permettre d'ignorer. [...] Je n'ai jamais été assez naïf pour croire que nous pouvions surmonter nos divisions raciales en une seule élection.»

Barack Obama, mars 2008

«Je sais que je n'obtiendrai pas la majorité du vote afro-américain. Mais je ferai campagne à travers tout le pays. [...] Je partagerai les frustrations, les espoirs et les rêves qu'a la communauté afro-américaine.»

John McCain, mars 2008

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New Jersey

Capitale: Trenton

Population: 8,724,560 (94% urbaine, 6% rurale)

Plus grande ville: Newark

Origines ethniques: Blancs 70%, Latinos 17%, Noirs 14%, Asiatiques 7%

Revenu médian: 64 470$

Anciens combattants: 8%

Résultats de l'élection de 2000:

Gore (démocrate): 56%

Bush (républicain): 40%

Nader (indépendant): 3%

Résultats de l'élection de 2004:

Kerry (démocrate): 53%

Bush (républicain): 46%

Nader (indépendant): 0,5%