En cherchant à sauver Wall Street, le gourvernement américain s'est mis à dos Main Street. Mais les laissés-pour-compte du grand sauvetage se trouvent aussi dans la capitale financière des États-Unis. 

Avec sa coupe de cheveux proprette, son costume bleu et sa chemise d'un blanc étincelant, Peter est l'image même du professionnel à succès. Mais en Amérique, il passe maintenant pour l'ennemi public numéro un.

 

Son crime? Il est courtier en actions pour Lehman Brothers. Ou plutôt il l'était. Puisque cette banque d'affaires s'est fait hara-kiri après que le gouvernement l'eut laissée choir, refusant de cautionner la dérive morale de Wall Street. Avec sa dette de 613 milliards de dollars, Lehman est la plus grande faillite de l'histoire des États-Unis.

«Ils nous ont diabolisés», dit Peter en avalant une soupe japonaise à la hâte dans une gargote à quelques pas de son bureau de la 7e Avenue, où le nom de sa firme vieille de 158 ans a déjà disparu de la façade.

La Maison-Blanche a fait le calcul que Wall Street survivrait à la chute de Lehman. Elle s'est trompée. Lehman a aggravé les problèmes de l'assureur A.I.G. et menacé d'emporter avec elle les firmes Goldman Sachs et Morgan Stanley. Dans ce système financier où tout est inextricablement lié, Lehman a déclenché des explosions à la chaîne et allumé un incendie que le sauvetage de Wall Street n'a pas encore éteint.

Peter a appris la mort de Lehman sur l'internet, aux petites heures le lundi 15 septembre. Il est rentré au bureau en se demandant s'il avait encore un poste et une assurance maladie pour sa famille. Mais Peter fait partie des «chanceux», les 10 000 salariés qui espèrent travailler pour Barclays, la banque londonienne qui a racheté les activités de courtage de Lehman aux États-Unis.

«Ils ont seulement changé le pavillon sur le bateau des pirates», dit-il mi-figue, mi-raisin.

Plus de 16 000 de ses collègues n'ont pas cette chance. Et c'est de crainte de perdre son emploi que Peter souhaite taire son identité.

Il n'empêche que ce courtier dans la quarantaine a perdu le gros de ses économies. Les employés de Lehman détenaient le tiers des actions de la firme. Ils recevaient entre 25% et 50% de leur rémunération en actions, une proportion plus élevée qu'ailleurs. Or, ces employés devaient conserver ces actions cinq ans avant de pouvoir les vendre. Avec la faillite, ils ont perdu entre une et deux années et demie de salaire!

«Jusqu'à la fin, je pensais que Lehman s'en sortirait», dit Peter qui, avec plus de 10 années de service, a le nom de la firme tatoué sur son coeur.

Ce n'est pourtant pas la disparition de Lehman qui choque Peter comme l'incohérence du gouvernement. «Pourquoi avoir sauvé Bear Stearns et pas nous?» demande-t-il, en jetant un regard nerveux sur son portable, où les indices boursiers sont en chute libre.

En 2007, Lehman était considérée par la revue Fortune comme la banque d'affaires la plus admirée. La plus petite des grandes firmes indépendantes faisait l'envie de l'industrie. Cette admiration rejaillissait sur Dick Fuld Jr., qui dirigeait Lehman depuis qu'American Express s'en était délestée, en 1993.

Le jour de notre rencontre, des membres du Congrès passaient Dick Fuld au gril, affirmant qu'il était le «méchant» de l'histoire. Ils ont dénoncé sa rémunération stratosphérique de 480 millions depuis 2000. (Fuld conteste ce chiffre; selon lui, 350 millions est plus exact!)

Ces parlementaires ont aussi critiqué la témérité de Lehman Brothers. Même si le marché immobilier se détériorait, fin 2007, Lehman ficelait encore des transactions comme si de rien n'était.

«Fuld était le PDG le plus ancien de Wall Street. Avec son caractère fort qui versait dans le culte de la personnalité, personne n'osait le critiquer au conseil d'administration», estime Peter. Mais ce courtier croit que Lehman n'est pas seule responsable de ses malheurs. Il blâme les spéculateurs qui ont propagé des rumeurs en misant sur la chute du titre. Et il critique le gouvernement qui a poussé les banques à prêter à des Américains trop pauvres.

Sur Main Street, Sarah Dorian-Lawrence s'offusque d'une telle généralisation. Cette musicienne de 39 ans juge qu'elle avait les moyens d'acheter une maison à Port Ludlow, Washington. Et cela, même si elle a emprunté des fonds à Washington Mutual, une banque que le gouvernement a saisie parce qu'elle se noyait dans le «subprime».

Mais, la vie lui a joué un tour.

Cette violoncelliste s'est séparée de son mari. Puis, elle a décidé de se rapprocher de sa famille, au Kansas. Cette mère d'un garçon de 6 ans n'avait plus les moyens de vivre seule dans la coûteuse région de Seattle.

Sarah Dorian-Lawrence a mis en vente sa maison en août 2007. Après 14 mois, elle n'a pas encore trouvé preneur. Entre-temps, son ex-mari a perdu son emploi et a chômé pendant huit mois. Les deux se démènent pour ne pas perdre leur maison.

Cette musicienne a abandonné concerts et tournées. Elle enseigne la musique dans des écoles publiques et suit des cours le soir pour obtenir sa maîtrise en enseignement. «Sans l'aide de ma soeur, qui m'a hébergée gratuitement pendant un an, j'aurais tout perdu», confie-t-elle.

Sarah Dorian-Lawrence n'a pas beaucoup de sympathie pour les financiers comme Peter qui gagnent des salaires faramineux. Mais elle conçoit que le gouvernement doit aider Wall Street pour calmer le jeu. «Ce qui me choque, dit-elle en revanche, c'est qu'il n'y a rien dans le plan de sauvetage pour permettre à des gens comme moi de garder nos maisons.»

Le sauvetage a beau coûter des centaines de milliards, il laisse un nombre incalculable d'Américains sur le carreau.

L'économie de l'État de New York a crû à une vitesse de 4,4% en 2007, selon le US Bureau of Economic Analysis. Seul l'Utah a fait mieux. Mais il serait étonnant que New York réédite cet exploit. Les secteurs de la finance, de l'assurance et de l'immobilier expliquaient la moitié (53%) de cette croissance!

Bouc Émissaire

Wall Street s'est trouvé un bouc émissaire. Il s'agit du Community Reinvestment Act. Cette loi adoptée par Jimmy Carter et amendée par Bill Clinton vise à prévenir la discrimination contre les quartiers pauvres en empêchant les banques de prêter uniquement aux communautés riches. Elle aurait forcé les banquiers à octroyer des prêts à des gens qui n'en ont pas les moyens. Certains contestent toutefois cette interprétation. Un professeur de l'Université du Michigan calcule que la moitié des hypothèques à haut risque a été consentie par des prêteurs indépendants qui échappaient en fait à cette loi.

Origine

À l'origine de la crise se trouvent les prêts immobiliers à haut risque. Des institutions consentaient ces prêts, sans égard aux conséquences. Elles refilaient ce risque à d'autres, qui le revendaient à d'autres encore à l'intérieur de produits financiers opaques. Cela fonctionnait à merveille tant que les prix des maisons grimpaient. Ce n'est plus le cas. Près du tiers (29%) des personnes qui sont devenues propriétaires depuis 2003 remboursent un prêt dont le montant original est supérieur à la valeur de leur maison, d'après Zillow.com, un évaluateur immobilier virtuel. Avec les saisies qui se multiplient, toute la chaîne alimentaire du secteur financier est maintenant contaminée.

Les candidats

Barack Obama a appuyé le plan de sauvetage de Wall Street mis de l'avant par l'administration Bush. John McCain a fini par s'y rallier après un premier appui équivoque qui a alimenté l'opposition de parlementaires républicains. Mais dans le deuxième débat, le sénateur de l'Arizona a promis une aide de 300 milliards de dollars aux proprios en difficulté. Un gouvernement républicain rachèterait leurs hypothèques!

New York

Capitale: Albany

Population urbaine: 87,5%

Population rurale: 12,5%

Plus grande ville: New York, 8 085 742 habitants

Origines ethniques

Blancs: 62%

Latinos: 15,1%

Noirs: 14,8%

Revenu familial médian: 43 393$

Anciens combattants: 9,5%

Résultat de l'élection 2000: Gore 60%

Bush: 35%

Résultat de l'élection de 2004: Kerry: 58%

Bush: 40%