Face à l'incapacité des États-Unis d'exiger d'Israël le gel des nouvelles constructions en Cisjordanie comme condition pour poursuivre les négociations, l'État palestinien s'est tourné vers un nouvel allié: l'Amérique du Sud. Deux poids lourds latino-américains ont ajouté leurs noms à la liste des pays qui reconnaissent l'État de Palestine. Pendant ce temps, les négociations israélo-palestiniennes sont au point mort.

Q : Cette semaine, l'Argentine et le Brésil ont reconnu l'État palestinien dans ses frontières de 1967. Quelle est la signification de cet appui?

R : Il s'agit essentiellement d'un appui «symbolique», note Henry Habib, professeur émérite à l'Université Concordia. Près d'une centaine de pays reconnaissent l'État de Palestine, pour la plupart des pays d'Afrique, du Proche-Orient, d'Europe de l'Est et d'Asie. Les pays européens, dont la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie, lui reconnaissent un statut diplomatique particulier. Les frontières de 1967 comprennent la bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est, sous domination israélienne depuis la guerre des Six Jours, en 1967. «Plus de 60% des territoires occupés sont sous le contrôle direct d'Israël», rappelle M. Habib. Les grandes villes, comme Jéricho et Naplouse, sont contrôlées par l'Autorité palestinienne. «Les Palestiniens vont chercher tous les appuis qu'ils peuvent. Ils sont dans une situation de désespoir. Ils accueillent quiconque leur manifeste de la sympathie.»

Q : L'État palestinien a-t-il l'intention de proclamer unilatéralement son indépendance?

R : Il l'a déjà fait en novembre 1988. Mais une nouvelle déclaration n'est pas impossible. Si le blocage des pourparlers directs persiste, l'Autorité palestinienne pourrait solliciter une reconnaissance américaine de l'État palestinien dans les frontières de 1967. En cas de refus, l'État palestinien demanderait au Conseil de sécurité de se prononcer. Il pourrait aussi demander à l'ONU de placer les territoires palestiniens sous mandat international. En dernier recours, l'Autorité palestinienne pourrait même se saborder et sommer Israël d'assumer ses obligations de puissance occupante - les Palestiniens formeraient alors 40% de la population du pays, une force appelée à s'imposer avec l'augmentation de leur poids démographique.

Q : Quelle a été la réaction de Washington, qui supervise les négociations israélo-palestiennes, à l'appui des Latino-Américains?

R : Washington a désapprouvé la démarche. Les négociations directes entre Israéliens et Palestiniens sont «le seul moyen» d'atteindre la paix au Proche-Orient. «Nous croyons que toute action unilatérale est contre-productive», a déclaré Philip Crowley, porte-parole du département d'État. Israël, de son côté, estime que ces déclarations sont en contradiction avec les pourparlers de paix et les accords israélo-palestiniens d'Oslo de 1993.

Q : Pourquoi l'Amérique du Sud se jette-t-elle aujourd'hui dans la mêlée?

R : Le départ imminent du président du Brésil, Lula da Silva, n'y est certainement pas étranger, observe le professeur Jean-François Mayer, spécialiste de l'Amérique latine à l'Université Concordia. «Il ne faut jamais oublier que Lula a toujours cherché à se dissocier du gouvernement américain, notamment en politique étrangère. C'est pour lui un moyen très clair de mettre de la pression sur les parties pour relancer les négociations.» Le Brésil a donc ouvert le bal, suivi cette semaine par l'Argentine. L'Uruguay a annoncé son intention de se joindre au mouvement en 2011. D'autres pourraient suivre. «Il est absolument certain que Lula essaie de montrer que le Brésil peut prendre l'initiative.» Entre les États-Unis et la Russie, le Brésil essaie de s'inscrire en tant que troisième voie. Et le Brésil ne cache pas ses ambitions d'obtenir un siège au Conseil de sécurité de l'ONU, ce qui irrite d'ailleurs ses voisins argentins et vénézuéliens...

Q : Où en sont les pourparlers de paix?

R : «Personne ne peut actuellement retourner à la table de négociations», observe le professeur Habib. Les États-Unis ont fait du maintien du gel des colonisations en Cisjordanie une condition essentielle à la poursuite des négociations. Or, cela est inacceptable pour le gouvernement israélien, qui a refusé d'obtempérer. En reconnaissant cette semaine qu'ils n'ont pas été en mesure d'exiger le maintien du gel, dit le professeur Habib, les États-Unis ont mis l'Autorité palestinienne dans une situation impossible: si elle accepte de retourner à la table des négociations, sa crédibilité auprès de la population, déjà sérieusement minée, pourrait en être davantage plombée.