Il dort deux heures par nuit dans son bureau exigu de l'hôpital Chifa de Gaza, submergé de mauvaises nouvelles et harcelé par les journalistes: au rythme des frappes israéliennes, le docteur Achraf al-Qodra annonce au monde entier les morts palestiniens.

Après trois semaines à additionner les cadavres, il dresse un constat est sans appel: «Il n'y a aucun endroit où l'on puisse être en sécurité à Gaza», minuscule territoire surpeuplé d'environ 40 km de long sur 10 km de large.

Depuis le début de l'offensive israélienne le 8 juillet, il a recensé plus d'un millier de morts dans l'enclave palestinienne.

«Les données que nous utilisons et celles que nous publions sont précises et objectives», assure-t-il avec une certaine défiance.

Âgé de 41 ans, cet homme grand à la barbe soigneusement taillée travaille pour une entité gouvernementale dirigée par le Hamas. Pour autant, il ne se considère pas comme affilié au mouvement islamiste qui dirige la bande de Gaza depuis 2007 mais ne parvient plus à payer ses fonctionnaires.

En cas d'erreur, il rectifie ses chiffres, comme ce dimanche quand il a revu le bilan général à la baisse ou vendredi, quand il a finalisé le bilan dans l'école de l'ONU de Beit Hanoun à 15 morts après en avoir d'abord évoqué le double dans la confusion ayant suivi l'explosion d'un obus au milieu des réfugiés.

Ses bilans semblent cohérents avec ceux, provisoires, établis régulièrement par le Bureau de coordination des Affaires humanitaires de l'ONU (Ocha).

Dimanche, l'Ocha a confirmé la mort de 924 Palestiniens à Gaza, dont trois quarts de civils et 206 enfants, et au moins 5500 blessés, en précisant n'avoir pas encore enregistré «de nombreux décès» en cours de vérification.

Les informations fournies par Achraf al-Qodra, au rythme de l'arrivée des corps dans les morgues de chacun des sept hôpitaux de l'enclave palestinienne, comptent pour beaucoup dans l'émotion mondiale qu'a suscitée le conflit.

«Je crois profondément au caractère humanitaire de ma mission», souligne cet ancien kiné devenu médecin. Cette mission consiste à répondre à quelque 700 appels par jour et à actualiser encore et toujours sur Twitter et Facebook le nombre de ceux qu'il appelle «martyrs».

Il s'allonge pour une sieste sur un matelas posé près de son bureau, avant d'être brusquement interrompu par un assistant: «Dr Qodra! Il y a énormément de morts à l'hôpital des Martyrs» à Deir al-Balah (centre).

Entre radio et téléphone

Le téléphone sonne, Achraf al-Qodra prend fébrilement des notes, pendant que la radio posée sur son bureau égrène les morts dans un Gaza dévasté. Le porte-parole appelle les hôpitaux débordés, suit la trace des blessés transportés en ambulance.

Et ne cache pas sa colère. «Je vois des corps et des morceaux de corps tout le temps. Mais ce qui me touche le plus, c'est de voir des femmes et des enfants tués dans les bombardements», témoigne-t-il.

«Ils ont visé l'hôpital al-Wafa (dans la banlieue de Gaza), l'hôpital des Martyrs, l'hôpital européen (à Khan Younès), comme je craignais. Je n'ai aucun doute sur le fait qu'ils frapperont ici à un moment ou à un autre ici», lâche-t-il à propos de l'hôpital Chifa, le plus important de Gaza, en regardant par la fenêtre une ambulance arriver chargée de blessés.

Les Israéliens tiennent le Hamas pour responsable des pertes civiles en l'accusant de dissimuler ses armes et ses centres opérationnels dans des écoles, des mosquées ou des hôpitaux.

Le téléphone sonne encore: cinq morts et 70 blessés à Khan Younès (sud).

Mais à l'appel suivant, le visage du médecin s'éclaircit d'un rare sourire. C'est son épouse, qui lui donne des nouvelles de leurs quatre enfants. «Ils me manquent», confie l'homme qui, entre deux décomptes, n'a eu le temps de voir sa famille qu'une seule fois en trois semaines.