Un cessez-le-feu a permis hier aux habitants de Gaza de sortir de la maison. Mais l'accalmie n'a duré que quelques heures. L'opération militaire israélienne, qui a repris en après-midi, a un impact psychologique marqué sur les enfants alors que les ressources pour les soutenir manquent dramatiquement.

Les grands yeux bruns de Younis Baqr s'écarquillent quand il observe autour de lui. Au fond de son regard se mêlent peur et inquiétude. Il s'agrippe fermement à la main de sa mère en montant les escaliers pour se rendre à la chambre d'hôpital de son frère Hamada.

Les deux garçons jouaient sur la plage mercredi quand deux projectiles ont explosé successivement, tuant leurs quatre cousins. Hamada a reçu des éclats à la poitrine et à la jambe. «J'ai vraiment mal, beaucoup mal», gémit le garçon de 13 ans, entouré de sa famille.

Younis n'a pas été blessé - pas physiquement, du moins. «Syndrome de choc post-traumatique», conclut la psychiatre Mouira Khalaf, envoyée à l'hôpital pour évaluer les enfants.

Elle prend la main du garçon de 9 ans, assis sur le bout du lit de son frère, la poitrine et la tête rentrées. «Oui, j'ai vu la première roquette, lui murmure-t-il quand elle le questionne. J'ai entendu. Je me suis sauvé. J'ai vu une deuxième roquette. Je suis revenu pour sauver mon ami. Mais je n'ai pas pu. J'ai commencé à courir.» La psychologue essaie de démêler son histoire, alors qu'il parle d'une troisième roquette et qu'il affirme être tombé dans un réservoir d'eau. Il semble confus. Mais pas assez pour oublier que ses quatre cousins, Zakaria, Ahed, Mohammed et Ismael, sont morts. Et qu'un de ses amis a été blessé dans une attaque qui fait actuellement l'objet d'une enquête et pour laquelle le président israélien, Shimon Peres, s'est excusé publiquement hier.

Quand la psychologue demande à Younis s'il compte retourner jouer sur la plage, lui qui dit toujours vouloir être pêcheur - comme les hommes de sa famille - , il rentre un peu plus la tête. «Non. Je ne veux plus y aller», dit-il, la panique dans la voix.



Six mois avant la guérison

En sortant de la chambre, la psychologue est tout de même confiante qu'il finira par s'en sortir. «Pour ce traumatisme, s'il suit le traitement, ça prend six mois et il va être correct après, affirme-t-elle. La meilleure chose est de continuer à parler.»

Elle traite beaucoup de patients avec un problème similaire. Elle estime que 60% des enfants de la bande de Gaza souffrent du syndrome de choc post-traumatique.

Mais il n'est pas toujours facile pour les gens de trouver les ressources nécessaires. La santé mentale est encore un sujet tabou, même si des programmes pour éduquer les gens ont apporté des améliorations. Sauf que, dans une société qui manque de tout, traiter les maux de l'âme n'est pas toujours une priorité.

«Nous voulons des programmes d'aide psychologique pour «construire» l'humain, parce que le corps et le mental sont connectés, dit Mohammed Kafina, du Palestine Trauma Center. Nous voulons qu'il y ait une vision à long terme. Si on donne une aide pour la nourriture et l'eau, ça dure une ou deux semaines, mais si nous travaillons sur la construction de la personne, de sa santé mentale, ça lui permet de s'aider elle-même à se procurer sa nourriture et son argent.»

Le Dr Ramadan Kodaih, qui a mis sur pied des programmes de thérapies par l'art dans la bande de Gaza, estime qu'il est primordial d'aider les enfants traumatisés pour briser le cycle de la violence. «Si nous ne faisons pas aimer la vie aux enfants, ils vont détester le monde et leur revanche va être très mauvaise, parce que tout ce qu'ils auront connu sera le sang et la violence. C'est très dangereux», insiste-t-il. Il déplore que l'art, et le bien-être qu'il apporte aux jeunes, ne soit pas pris au sérieux comme une aide valable dans la société.

En attendant un véritable cessez-le-feu, des psychologues continuent à se déplacer pour parler aux gens en détresse, même si les programmes et les fonds manquent. Jaber Thabet est psychologue bénévole pour le Palestine Trauma Center, qui n'a pas d'argent pour le payer. Ces jours-ci, il se rend dans les hôpitaux et les écoles qui servent d'hébergement temporaire aux gens des quartiers plus dangereux. «C'est difficile, admet le jeune homme. Nous ne pouvons pas les amener dans un état de sécurité, dans lequel ils pourraient parler en toute confiance.»

Tarid Baqr, la mère de Younis et d'Hamada, admet d'ailleurs avoir ressenti un grand choc en apprenant ce qu'avaient vécu ses fils et ses neveux. «Nous l'avons vu à la télévision, dit la femme. Je ne savais pas. Vous êtes une mère, vous regardez la télévision, qu'est-ce que vous devez ressentir quand vous voyez vos fils comme ça à la télé?»