Ce n'est pas un hasard si la première initiative de cessez-le-feu proposée lundi est venue de l'Égypte. Selon l'ambassadeur des États-Unis Dennis Ross, vieux routier des négociations israélo-palestiniennes, Le Caire est en effet appelé à jouer un rôle crucial dans un éventuel dénouement de la crise actuelle. La Presse, qui s'est entretenue avec lui, explique pourquoi en trois points.

1. L'Égypte peut influencer le Hamas

L'influence de l'Égypte sur le Hamas a déjà été très claire. En 2012, lors de la dernière offensive israélienne contre Gaza, l'Égypte était dirigée par Mohamed Morsi, membre du parti des Frères musulmans. Et le Hamas est un mouvement issu des Frères musulmans.

«Morsi était en quelque sorte un partenaire supérieur et le Hamas était un partenaire junior. Morsi disait grosso modo au Hamas de faire ce qui était bon pour l'Égypte», dit l'ambassadeur Ross, qui a notamment été coordonnateur spécial pour le Moyen-Orient sous Bill Clinton.

Les choses, depuis, ont radicalement changé. En juillet dernier, Morsi a été renversé, puis jeté en prison. Le général Abdel Fattah al-Sissi, qui gouverne aujourd'hui l'Égypte, persécute les Frères musulmans. Ses relations avec le Hamas sont donc pour le moins tendues.

«La situation est très différente de celle sous Morsi, convient M. Ross. Mais al-Sissi a un pouvoir de négociation sur le Hamas, et c'est Rafah.»

Rafah est le poste-frontière entre l'Égypte et Gaza. L'endroit est truffé de tunnels qui servaient sous Morsi à transporter des biens de contrebande vers Gaza. Mais Sissi a bloqué tant les tunnels que le trafic légal à Rafah.

Résultat: le Hamas, privé des revenus engendrés par la contrebande et du soutien des Frères musulmans égyptiens, est aujourd'hui asphyxié et isolé.

«Le Hamas est coincé de tous les côtés, dit M. Ross. Une partie de ce que nous voyons peut être attribuée au fait qu'il sent qu'il n'a plus rien à perdre. Or, l'Égypte peut soulager une partie de cette pression avec l'ouverture des frontières.»

2. L'Égypte peut rassurer Israël

Selon Dennis Ross, l'Égypte a aussi quelque chose à offrir à Israël. Par une ouverture ordonnée du poste-frontière de Rafah, elle pourrait assurer l'entrée de marchandise légitime tout en bloquant la contrebande de matériel de guerre.

Or, le Hamas aura bientôt besoin de ce matériel. Israël pilonne actuellement ses dépôts d'armes, et lui-même tire des centaines de roquettes par jour vers Israël. Selon certaines estimations, l'arsenal de roquettes du Hamas a déjà diminué du tiers depuis la reprise des hostilités, la semaine dernière.

«Ce qu'Israël pourrait gagner, c'est une prévention très sérieuse de la capacité du Hamas à reconstruire son arsenal de roquettes, dit Dennis Ross. Et ça pourrait rassurer beaucoup Israël sur la possibilité d'obtenir le calme de façon durable.»

Ce «calme durable», souligne M. Ross, est justement ce que réclame le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou sur la place publique.

«Nétanyahou ne parle pas de démanteler ni d'éliminer le Hamas, dit M. Ross. Ce qu'il dit, c'est qu'il cessera les opérations si les tirs de roquettes cessent et qu'il a l'assurance qu'ils ne reprendront pas dans un mois ou deux.»

3. L'Égypte a tout intérêt à s'impliquer

Selon Dennis Ross, l'Égypte a tout intérêt à jouer de tout son poids dans la conclusion d'un cessez-le-feu durable entre le Hamas et Israël. C'est que le pays, jadis un grand allié des États-Unis au Moyen-Orient, a perdu beaucoup de son lustre à Washington depuis le renversement du président Mohamed Morsi par l'armée l'an dernier.

Les États-Unis ont toujours refusé de qualifier la prise de pouvoir de «coup d'État», mais ont interrompu jusqu'à tout dernièrement l'importante aide militaire qu'ils versent traditionnellement à l'Égypte. La négociation d'un accord entre Israël et le Hamas permettrait au plus grand pays arabe du globe de redorer son blason.

«Ce serait une façon pour l'Égypte de montrer aux États-Unis sa valeur en tant que partenaire dans la région», dit M. Ross.

Dennis Ross

Dennis Ross a été directeur de la planification politique sous George W. Bush, coordonnateur spécial pour le Moyen-Orient sous Bill Clinton et conseiller spécial d'Hillary Clinton pour le golfe Persique et l'Asie du Sud-Ouest. Il a notamment aidé à conclure l'Accord intérimaire sur la Cisjordanie et la bande de Gaza (Oslo II) en 1995, qui a conduit à un retrait des troupes israéliennes de certains territoires palestiniens et à la division de la Cisjordanie en plusieurs zones. Il a aussi aidé à négocier le protocole d'Hébron, en 1997, qui a divisé la ville en deux secteurs, ainsi que l'entente de paix entre Israël et la Jordanie en 1994.

PHOTO RICH CLEMENT, ARCHIVES BLOMMBERG

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