Des milliers de Palestiniens ont manifesté hier contre l'offensive israélienne à Gaza. À Jénine, ancien fief de la résistance, les combattants ont déposé les armes il y a près d'un an. La ville est devenue un laboratoire de l'Autorité palestinienne, décidée à y imposer la sécurité. Mais la population reste sceptique. Et les luttes entre les différentes factions inquiètent les militants. Notre collaborateur s'est rendu sur place au début du mois de décembre.

Il y a un an, les militants des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa (bras armé du Fatah), du Hamas et du Jihad islamique se promenaient librement, armes à la main, dans les rues de Jénine. L'hôpital était leur dortoir. Aujourd'hui, le bâtiment a été rénové, les médecins se sont remis au travail et la police de l'Autorité palestinienne patrouille massivement la ville.

 

La ville du nord de la Cisjordanie était considérée comme l'un des endroits les plus dangereux des territoires palestiniens. Ce fief de la résistance est maintenant devenu le laboratoire de l'Autorité palestinienne, décidée à prendre le contrôle de la Cisjordanie et à y imposer la sécurité.

«C'était le chaos! s'exclame le colonel Radi Asedeh, responsable de la police. On a maintenant repris le contrôle de la ville. Tous ceux qui portent une arme et qui ne travaillent pas pour l'Autorité palestinienne sont maintenant considérés comme hors-la-loi. Malgré les appréhensions de la population, le sang n'a pas coulé lors de cette opération.»

Depuis mai dernier, 1400 policiers de l'Autorité palestinienne patrouillent tout le gouvernorat de Jénine. «Au nom de la patrie, les résistants étaient libres de faire ce qu'ils voulaient, explique Ali Yaseen, un travailleur social. Ils insultaient et volaient la population. Ces gens pouvaient entrer dans un commerce sans payer parce qu'ils s'autoproclamaient résistants.»

Un modèle pour un État ?

Lors de sa visite à Jénine en novembre, Condoleezza Rice parlait de la ville comme de l'endroit où l'État palestinien verrait le jour. Pourtant, selon le gouverneur de Jénine, Qadoura Moussa, la route sera longue avant d'avoir un pays.

« L'Autorité palestinienne a prouvé qu'elle était capable de contrôler Jénine, dit-il. Malheureusement, les Israéliens ne nous ont rien donné en retour. L'économie est toujours désastreuse. Ce n'est toujours pas assez pour pouvoir fonder un État palestinien. On ne peut pas nourrir une population avec la sécurité.»

Maintenant que les milices ont été désarmées, Mohamed Asu Tasigh, un informaticien de 20 ans, n'a plus espoir en la fondation d'un État palestinien.

«Il n'y a plus de résistance, déplore-t-il. On se rend maintenant compte qu'il n'y a personne qui combat l'occupation. Je n'ai plus d'espoir en un État palestinien et je ne fais pas confiance à l'Autorité palestinienne et ses promesses. La nouvelle génération doit trouver une nouvelle stratégie, sinon, ça n'arrivera jamais.»

Incursions israéliennes

En 2002, durant les pires heures de la deuxième Intifada, le camp de réfugiés de Jénine a vécu un siège de deux semaines qui s'est soldé par la mort d'une cinquantaine de Palestiniens et d'une trentaine d'Israéliens. Depuis, l'armée de l'État hébreu avait l'habitude d'entrer à Jénine toutes les nuits, parfois même le jour.

Le repos des habitants de la ville de 35 000 âmes est maintenant plus paisible. L'armée israélienne se fait plus discrète. «On ne voit plus de Jeeps et de chars d'assaut israéliens dans les rues, affirme Maha Slatiti, une étudiante de 19 ans. Nous n'avons plus peur de sortir.»

Le soleil a décoloré les affiches à la gloire des martyrs palestiniens qui couvrent les murs des rues de Jénine. L'armée israélienne a maintenant moins de raisons de venir arrêter des militants, puisque quelque 150 membres recherchés des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa et du Jihad islamique ont déposé les armes et ont obtenu une amnistie.

Il y a huit mois encore, Zakaria Zubeïdi était le leader des Brigades desmartyrs d'Al-Aqsa dans le nord de la Cisjordanie. Il était l'une des personnes les plus recherchées par l'armée israélienne. Il a obtenu une amnistie, mais il ne peut quitter Jénine. L'homme de 32 ans au visage moucheté par les éclats d'une bombe artisanale ne croit pas que la sécurité soit vraiment revenue dans sa ville.

«Il y a maintenant un nouveau corps policier et les militants ont délaissé la lutte armée, c'est vrai, dit-il avec amertume. Mais les Israéliens peuvent maintenant faire ce qu'ils veulent. Ce n'est pas ça la sécurité. À 22 h, il n'y a personne dans les rues parce que les citoyens sont effrayés. C'est impossible de parler de paix avec l'occupation. Seul un homme libre peut connaître la paix.»

Économie désastreuse

Depuis le mois de juin dernier, les Arabes israéliens peuvent traverser la frontière jusqu'à Jénine. Plusieurs d'entre eux viennent pour visiter leur famille en Cisjordanie ou pour faire des emplettes. Ils n'ont toutefois pas le droit de s'y rendre en voiture.

Au point de passage de Jalame, à quelques kilomètres de Jénine, ils sont une dizaine à faire la file, les mains pleines de denrées qu'ils ramènent en Israël. «Ma famille vient d'ici, dit Moneira Jaramny, une habitante de Moqably, à quelques centaines de mètres de la frontière, du côté israélien. Je n'avais pas vu mes parents depuis

quatre ans.»

Même si la sécurité s'est grandement améliorée à Jénine, le chômage laisse sur le carreau plus de la moitié de la population. Quelque 62% des habitants vivent sous le seuil de la pauvreté. Une véritable bombe à retardement, croit le gouverneur de Jénine. «Si la situation économique reste comme elle l'est présentement, les gens vont finir par se soulever. Si l'économie s'améliore, la situation politique va en ressentir les effets automatiquement.»