Iraniens et Américains se retrouvent dimanche soir à Lausanne pour reprendre leurs négociations sur le programme nucléaire de Téhéran sous la double pression de la date butoir du 31 mars pour un accord politique, mais aussi des opposants à cet accord aux États-Unis et en Iran.

John Kerry et Mohammad Javad Zarif, les chefs de la diplomatie des deux pays vont s'engager dans un nouveau tour de négociations qui pourrait durer jusqu'à vendredi, à la veille du Nouvel An iranien, le 21 mars.

Après 18 mois de discussions et deux dates butoirs non respectées, l'Iran et les grandes puissances du groupe 5+1 (États-Unis, Royaume-Uni, Russie, France plus Allemagne) qui négocient sous l'égide de la diplomatie de l'Union européenne, se sont fixés comme échéance le 31 mars pour un accord politique.

Ce texte de quelques feuillets fixerait les grands chapitres pour garantir le caractère pacifique des activités nucléaires iraniennes et l'impossibilité pour Téhéran d'accéder à l'arme nucléaire dans un délai trop court pour une réaction internationale. Il établirait aussi le principe du contrôle des installations iraniennes, la durée de l'accord et le calendrier d'une levée progressive des sanctions qui étouffent l'économie iranienne.

Selon une source diplomatique européenne, avant la baisse du prix du pétrole, la facture annuelle de ces sanctions était de quelques 50 milliards de dollars par an plus une perte de 50 milliards pour les ventes de pétrole non réalisées soit au total quelque 13 % du PNB iranien.

Une fois cet accord politique conclu, les négociateurs auront jusqu'au 1er juillet pour fixer les modalités techniques.

Après les derniers tours de négociations, toutes les parties ont parlé de «progrès» même si elles divergent ensuite sur leur portée ou sur les chapitres où «des choix politiques restent à faire».

Tempête à Washington, méfiance à Téhéran

Face à la perspective d'un accord, une tempête politique saisit Washington et donne de nouveaux arguments aux anti-américains à Téhéran.

Après l'épisode de l'invitation par les républicains au premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou de s'adresser au Congrès, le contentieux qui oppose l'administration démocrate au Congrès républicain se cristallise maintenant sur une lettre que 47 des 54 sénateurs républicains ont adressée lundi aux dirigeants de la République islamique.

Pour le secrétaire d'État John Kerry cette lettre «irresponsable» «risque de saper la confiance que des gouvernements étrangers placent dans des milliers d'accords importants qui engagent les États-Unis et d'autres pays».

Ces sénateurs ont prévenu les Iraniens que le Congrès disposait, seul, du pouvoir de lever définitivement les sanctions américaines adoptées sous la forme de lois ces dernières années.

Pour John Kerry cette initiative va à l'encontre de «plus de deux siècles de précédents dans la conduite de la politique étrangère américaine».

«Il est ironique de voir certains membres du Congrès voulant faire cause commune avec les tenants de la ligne dure à Téhéran», a estimé le président Barack Obama.

Obama: «Je suis gêné pour eux»

Le président américain Barack Obama est «gêné» pour les sénateurs républicains qui ont adressé un courrier aux dirigeants iraniens.

«Je suis gêné pour eux», déclare M. Obama dans un entretien avec Shane Smith, cofondateur du groupe d'information Vice qui sera diffusé lundi, mais dont des extraits ont été rendus publics vendredi.

M. Obama s'étonne de voir ses adversaires républicains «adresser une lettre à l'ayatollah (Ali Khamenei, guide suprême iranien, NDLR) qui est, selon eux, notre ennemi juré».

«Leur argument de base est: ne discutez pas avec notre président parce que vous ne pouvez lui faire confiance pour faire appliquer l'accord», poursuit-il, jugeant que la démarche «est quasiment sans précédent».

Le Guide suprême iranien, tout en marquant sa défiance traditionnelle vis-à-vis des Américains, a réaffirmé jeudi la volonté de Téhéran d'aboutir.

«Les responsables de la République islamique savent ce qu'ils font et savent quoi faire en cas d'accord, afin que les Américains ne puissent pas le violer plus tard», a déclaré l'ayatollah Ali Khamenei, qui a seul le pouvoir de valider l'initiative d'un accord.

Il s'est dit «inquiet, car l'autre partie est fourbe, et poignarde (son adversaire) dans le dos».

Face au non-respect de l'engagement d'un président américain par son successeur en 2017, comme l'évoquent les sénateurs, le Guide se demande s'il ne s'agirait pas alors de «l'extrême décadence de l'éthique politique et l'anéantissement de l'intérieur du système américain».

Cette initiative perturbe aussi les autres parties à la négociation. «Elle peut faire capoter un accord», souligne une source diplomatique.

«Évidemment, la méfiance grandit côté iranien (...) où on se demande si on est vraiment sérieux dans ces négociations», a mis en garde jeudi le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier devant la presse à Washington.