L'Iran et les grandes puissances ont scellé dimanche un premier accord historique pour contenir le programme nucléaire de Téhéran, immédiatement rejeté par Israël, soulignant qu'il ne s'agissait que d'une «première étape» avant un accord «complet».

>> Le Canada sceptique

Après cinq jours d'âpres négociations, les grandes puissances et l'Iran ont annoncé un accord au terme duquel la République islamique acceptera de limiter son programme nucléaire en échange d'un allègement des sanctions économiques, ouvrant une nouvelle période de pourparlers sur le fond pendant six mois.

Plus précisément l'accord prévoit que «sur le stock d'uranium existant enrichi à 20%, l'Iran en retiendra la moitié en oxyde d'uranium pour fabriquer du combustible destiné au (réacteur de recherche civil iranien) TRR. Il diluera le (stock) restant à 20% d'UF6 (hexafluorure d'uranium, un gaz qui alimente directement les centrifugeuses d'uranium) à moins de 5%».

De plus Téhéran s'engage à ne pas enrichir de l'uranium à plus de 5% pendant six mois et à ne pas se doter de nouveaux sites d'enrichissement.

Succès et première étape importante

L'accord a été qualifié de «succès» par le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei et de «première étape importante» par le président des États-Unis Barack Obama.

Le président français François Hollande y a vu «une étape vers l'arrêt du programme militaire nucléaire iranien».

Cet accord pourrait être «le début d'un accord historique pour les peuples et nations du Moyen-Orient et au-delà», a estimé le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon.

«Une percée a été réalisée, mais seulement un premier pas sur un chemin long et difficile», a nuancé le président russe, Vladimir Poutine.

Dans le même sens, le secrétaire d'État américain John Kerry a déclaré dimanche soir que «maintenant, la partie vraiment difficile commence». Tout juste arrivé de Genève à Londres, il a précisé qu'il faudra faire «un effort pour obtenir un accord complet qui demandera d'énormes engagements en termes de vérification, de transparence et de responsabilité.»

Ainsi le Congrès américain a déjà annoncé qu'il était favorable à de nouvelles sanctions renforcées contre l'Iran, sanctions qui n'entreraient en vigueur que si Téhéran ne respectait pas l'accord conclu à Genève. Selon le résumé d'un conseiller d'un sénateur américain, «les sanctions prendraient effet s'ils trichent ou si le démantèlement n'est pas entamé d'ici six mois».

L'accord constitue une avancée pour les experts, car il établit une gamme plus importante de contraintes et vérifications sur le programme nucléaire iranien.

Selon Bruno Tertrais, de la Fondation pour la Recherche stratégique, basée à Paris, «c'est un accord qui permet de gagner du temps, puisqu'une grande partie du programme nucléaire iranien va être gelé pour six mois».

Le texte laisse toutefois une part d'ambiguïté qui permet des interprétations divergentes.

D'un côté, le président iranien Hassan Rohani a affirmé que «le droit à l'enrichissement d'uranium sur le sol iranien a été accepté». De l'autre, John Kerry a assuré au contraire que l'accord «ne dit pas que l'Iran a le droit à l'enrichissement, quoiqu'en disent certains commentaires en l'interprétant».

«Ce que dit (le document), c'est que dans le cadre d'une solution complète, si nous atteignons le stade suivant de cette solution complète, l'Iran sera en mesure de jouir de ses droits fondamentaux à disposer de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques, ce qui impliquera ce que nous appelons un programme d'enrichissement mutuellement défini et limité aux besoins pratiques», a expliqué le chef de la diplomatie britannique William Hague.

À Washington, le président Barack Obama a assuré que cet accord «barre le chemin le plus évident» de la République islamique vers une bombe atomique.

Il a pris soin de souligner les «énormes difficultés» persistant dans ce dossier qui empoisonne la communauté internationale depuis une décennie ajoutant que les sanctions «les plus sévères continueront d'être appliquées».

Les Occidentaux et Israël soupçonnent Téhéran de dissimuler un volet militaire derrière son programme civil, ce qu'il nie.

Cette question est au coeur des inquiétudes des pays occidentaux et d'Israël, qui craignent que l'uranium enrichi à 20% soit utilisé par l'Iran pour obtenir de l'uranium à 90% pour un usage militaire, malgré les dénégations de Téhéran.

L'Iran affirme que cet uranium est destiné à son réacteur de recherche et à des fins médicales.

Le président Obama s'est efforcé de rassurer Israël en appelant dimanche le premier ministre Benjamin Nétanyahou. «Les deux dirigeants ont réaffirmé leur objectif commun d'empêcher l'Iran d'obtenir une arme nucléaire», a assuré le porte-parole présidentiel.

Mais le premier ministre israélien a dénoncé «une erreur historique» après que son bureau eût évoqué un «mauvais accord qui offre ce que l'Iran voulait : la levée significative des sanctions et le maintien d'une partie significative de son programme nucléaire».

Le pouce en signe de la victoire

L'Iran affirme que cet uranium est destiné à son réacteur de recherche et à des fins médicales.

M. Kerry, parrain de la reprise des négociations directes israélo-palestiniennes, a également voulu rassurer Israël, en assurant qu'un accord nucléaire «complet rendra le monde (...) les partenaires de la région et l'allié Israël plus sûrs».

Mais la réaction de l'État hébreu ne s'est pas fait attendre: le premier ministre Benjamin Nétanyahou a dénoncé dans cet accord «une erreur historique» après que son bureau a évoqué un «mauvais accord qui offre exactement ce que l'Iran voulait: la levée significative des sanctions et le maintien d'une partie significative de son programme nucléaire».

«On peut s'interroger sur les réactions dans le monde lorsqu'on voit Laurent Fabius (le ministre français des Affaires étrangères) lever le pouce en signe de victoire après la conclusion de cet accord alors qu'aucune centrifugeuse ne sera démantelée», a déploré le ministre israélien des Finances, Yaïr Lapid.

Les cinq jours de négociations se sont déroulés dans un grand hôtel de Genève. Diplomates et experts du 5+1 y ont négocié à partir de mercredi - après un échec près du but début novembre - avant d'être rejoints par leurs ministres.

Les grandes étapes de la crise sur le nucléaire iranien depuis 2003

2003

L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) révèle en août des traces d'uranium enrichi à Natanz (centre de l'Iran) où des photos satellites diffusées fin 2002 par la presse américaine ont révélé l'existence d'un site nucléaire.

Après une visite inédite des chefs de la diplomatie français, allemand et britannique en octobre, l'Iran suspend ses activités d'enrichissement d'uranium. Il s'y réengage fin 2004 après des volte-face mais assure qu'il ne «renoncera jamais» à l'enrichissement.

2005

En août, après l'élection du président conservateur Mahmoud Ahmadinejad, l'Iran reprend ses activités d'enrichissement à Ispahan (centre). Paris, Berlin et Londres rompent les négociations.

2006

Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU (États-Unis, Russie, Chine, France,Grande-Bretagne) donnent en janvier leur feu vert à l'AIEA pour saisir l'ONU.

L'Iran annonce avoir procédé pour la première fois à l'enrichissement d'uranium (à 3,5%).

En juin, les membres permanents du Conseil de sécurité et l'Allemagne («5+1») offrent en vain à l'Iran des incitations en échange de l'arrêt de l'enrichissement.

L'ONU inflige en décembre des sanctions à l'Iran, régulièrement renforcées depuis, comme celles des États-Unis et de l'Union européenne (UE).

2007

L'Iran annonce avoir franchi le cap de 3000 centrifugeuses, étape symbolique permettant la fabrication d'une bombe atomique.

2009

Alors que le nouveau président américain Barack Obama tend la main à Téhéran, les 5+1 proposent de reprendre les discussions. Au même moment, l'Iran inaugure à Ispahan sa première usine de combustible nucléaire.

En octobre, la reprise des négociations 5+1 à Genève débouche sur un accord pour enrichir à l'étranger l'uranium iranien mais il n'aboutit pas.

2010

L'Iran annonce commencer à enrichir de l'uranium à 20% à Natanz.

Le 17 mai, une initiative turco-brésilienne voit le jour prévoyant l'échange en Turquie d'une partie de l'uranium iranien faiblement enrichi contre du combustible nucléaire.

2011

En janvier, les négociations Iran/5+1 à Istanbul achoppent de nouveau. La centrale nucléaire de Bouchehr est raccordée au réseau.

2012

L'AIEA annonce en janvier que l'Iran a commencé à enrichir de l'uranium à 20% à Fordo (centre).

Après quinze mois d'arrêt, les négociations Iran/5+1 reprennent en avril à Istanbul, puis à Bagdad et à Moscou, sans connaître d'avancées.

2013

En février à Almaty (Kazakhstan), les 5+1 proposent d'alléger certaines sanctions en échange d'une simple suspension de l'enrichissement mais les discussions en avril échouent.

Fin septembre, le nouveau président iranien, Hassan Rohani, parle au téléphone avec Barack Obama (premier échange à ce niveau depuis 1979).

Parallèlement une rencontre ministérielle inédite Iran/5+1 se tient à New York. L'optimisme prévaut aux négociations de Genève mi-octobre mais un nouveau round de discussions s'achève le 9 novembre sans accord en raison notamment de la position des Français qui durcissent les exigences.

Le 20 novembre, les négociations reprennent à Genève, suscitant un chassé-croisé diplomatique mondial sans précédent. Au quatrième jour, les ministres des Affaires étrangères sont arrivés et après de longues heures de discussions un accord a été conclu au milieu de la nuit.