Après trois jours de négociations à Genève, l'Iran et six puissances mondiales se sont quittés dimanche sans accord et en se donnant rendez-vous le 20 novembre, mais Téhéran soulignait quelques heures plus tard qu'il ne renoncerait pas à ses «droits nucléaires».

La réunion de Genève, portée par de grands espoirs après l'élection du nouveau président iranien, a cherché pendant ces intenses discussions un accord sur le programme nucléaire de l'Iran, officiellement purement civil, mais soupçonné d'avoir pour objectif l'accession à l'arme nucléaire.

Les commentaires dans les dernières heures de la rencontre étaient plutôt optimistes. Le chef de la diplomatie allemande Guido Westerwelle estimait qu'on était «plus proches d'une solution raisonnable que nous ne l'avons été depuis des années», son homologue américain John Kerry saluait «les progrès accomplis», et le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, très investi dans la négociation, affirmait ne «pas être déçu» en dépit de l'absence d'accord.

De son côté, le ministre britannique des Affaires étrangères William Hague a estimé qu'un accord sur le nucléaire iranien «est sur la table et peut être conclu».

«Il n'y a pas de doute, comme l'a dit (le secrétaire d'État américain) John Kerry pendant la nuit, que les points de vue entre les différentes parties sont plus proches qu'avant les discussions», a-t-il dit à la BBC.

À l'issue de la rencontre, le chef de la diplomatie de l'Union européenne Catherine Ashton et M. Zarif ont annoncé qu'une nouvelle réunion était programmée le 20 novembre, réunion que la Suisse s'est dite dimanche prête à accueillir.

Mais dimanche matin, le président iranien Hassan Rohani a souligné que son pays ne renoncerait pas à ses «droits nucléaires», y compris l'enrichissement d'uranium, ont rapporté les médias.

«Il y a des lignes rouges qui ne doivent pas être franchies», a-t-il dit devant le Parlement. «Les droits de la nation iranienne et nos intérêts nationaux représentent une ligne rouge, de même que les droits nucléaires dans le cadre des régulations internationales, ce qui inclut l'enrichissement (d'uranium) sur le sol iranien».

L'opposition iranienne a aussi réagi dimanche matin.

Dans un communiqué transmis dimanche à l'AFP, la présidente du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), Maryam Radjavi, a estimé que tout accord entre l'Iran et les grandes puissances qui ne prévoit pas l'arrêt «complet» du programme nucléaire iranien donne à Téhéran la possibilité d'acquérir l'arme nucléaire.

La reprise des négociations avec l'Iran, bloquées depuis des années, vise à miser sur la politique d'ouverture du président Rohani vers l'Occident et les États-Unis amorcée depuis son élection en juin.

Celui-ci semblait espérer mettre fin à dix ans de tension sur ce dossier nucléaire, avec l'objectif d'alléger puis d'obtenir la levée des sanctions qui étouffent l'économie de son pays.

Mais les négociations ont buté sur les exigences de clarification de certains participants, en particulier la France, dans la rédaction d'un accord temporaire de six mois, première étape «vérifiable» vers un accord permanent.

Le groupe 5+1 (États-Unis, Russie, Chine, France Grande-Bretagne plus l'Allemagne), l'Iran et l'UE se sont engagés à ne rien dévoiler du contenu de leurs discussions par souci d'efficacité.

L'Occident veut des garanties

Des garanties étaient notamment demandées sur le sort du réacteur à eau lourde d'Arak, en construction pour être fonctionnel l'été 2014, et sur la fabrication de plutonium.

Et surtout, l'Occident veut des garanties concernant les capacités d'enrichissement de l'uranium de l'Iran - son stock d'uranium enrichi à 20%, étape obligée pour passer ensuite rapidement à 90% pour usage militaire, le parc de 19.000 centrifugeuses et la fabrication d'une nouvelle génération de centrifugeuses cinq fois plus rapides.

En échange d'un accord, l'Iran espère un allègement «limité et réversible» de certaines sanctions. En particulier celles qui ont abouti au gel des avoirs iraniens dans des banques de pays tiers, mais pas aux États-Unis, les sommes en jeu représentant des dizaines de milliards de dollars.

Le chef de la diplomatie française Laurent Fabius a été le premier à annoncer l'absence d'accord, soulignant qu'il restait beaucoup de chemin et qu'il n'était pas question de signer un accord qui volerait ensuite en éclats comme celui de 2003-2004.

Et si la détermination française a dans un premier temps irrité certains diplomates qui y voyaient «une tentative par Fabius de se donner de l'importance tardivement», on reconnaissait de source diplomatique après l'échec de l'accord que «différents points posaient problème pour différents pays, pas seulement la France».

«Les États-Unis sont déterminés à ce que l'Iran n'acquiert pas d'armes nucléaires», a aussi souligné M. Kerry après les inquiétudes exprimées par Israël, qui met en garde contre un éventuel accord avec l'Iran qui ne permettrait pas de démanteler son programme nucléaire.

Un ministre israélien a d'ailleurs annoncé dimanche que son pays allait faire campagne en ce sens auprès des parlementaires américains.

L'atmosphère optimiste des pourparlers pourrait toutefois avoir un premier résultat concret. L'AIEA, dont le directeur général Yukiya Amano sera lundi à Téhéran, espère obtenir des concessions de l'Iran sur le programme de vérifications et de visites dans ses installations nucléaires, notamment la base militaire de Parchin.

Les points fondamentaux en discussion

Une période probatoire de six mois, un gel de tout ou partie du programme nucléaire iranien contre une levée de sanctions: l'accord en négociations entre l'Iran et six grandes puissances comprend ces grandes lignes, mais des débats et des inconnues demeurent.

Le détail des négociations, qui doivent après l'échec de ce week-end reprendre formellement le 20 novembre à Genève, n'est pas connu, les sept pays engagés dans les pourparlers s'étant imposé un silence absolu sur leurs échanges. Mais des exigences fondamentales sont claires et certaines problématiques faisant débat sont désormais de notoriété publique.

EXIGENCES FONDAMENTALES

Les Occidentaux et Israël soupçonnent l'Iran de vouloir se doter de l'arme atomique, ce que Téhéran dément en affirmant que son programme nucléaire n'est qu'à vocation civile.

- En application de plusieurs résolutions de l'ONU, les grandes puissances demandent «la suspension» de l'enrichissement de l'uranium qui, à partir d'un certain seuil (90%), ouvre la voie à la fabrication d'une arme nucléaire. Disposant de 19 000 centrifugeuses, Téhéran enrichit de l'uranium à 3,5% et à 20%. Les négociateurs occidentaux sont surtout focalisés aujourd'hui sur un arrêt de cet enrichissement à 20%.

- Quelques heures après la fin des négociations à Genève, le président Hassan Rohani a réitéré que son pays ne renoncerait pas à ses «droits nucléaires», dont l'enrichissement d'uranium.

SUJETS EN DEBAT

- Avenir du stock d'uranium enrichi par les Iraniens à 20% et qui représente désormais 186 kilos. Comment le neutraliser ? Destruction ? Mise sous contrôle à l'étranger ? Vente ?

- Question de la fabrication par Téhéran d'une nouvelle génération de centrifugeuses cinq fois plus rapides. Certains experts parlent d'un millier d'exemplaires de ces centrifugeuses nouvelle génération.

- Réacteur à eau lourde d'Arak (autre filière que l'enrichissement d'uranium permettant à terme de fabriquer du plutonium utilisable à des fins militaires). Paris a particulièrement insisté à Genève sur ce dossier «extrêmement proliférant». Selon des experts, ce réacteur pourrait devenir opérationnel en fin d'année prochaine et il serait alors beaucoup plus difficile de le neutraliser.

À Arak, les inspecteurs de l'Agence internationale de l'Énergie atomique ont un accès occasionnel au site du réacteur, mais pas à l'unité d'eau lourde.

Selon la presse américaine, l'Iran pourrait accepter de geler pendant six mois l'exploitation du réacteur tout en continuant sa construction.

- Avenir des installations nucléaires souterraines de l'Iran, notamment le site de Fordo que les Occidentaux voudraient voir neutralisé.

ASSOUPLISSEMENT DES SANCTIONS

En échange de gestes jugés acceptables par la communauté internationale, Téhéran pourrait obtenir un allègement «limité et réversible» de certaines sanctions imposées par les États-Unis et les Européens. Les Occidentaux pourraient privilégier à ce sujet dans un premier temps les secteurs pétrochimique et des métaux précieux. D'autres informations évoquent un dégel d'avoirs iraniens dans des banques de pays tiers, mais pas aux États-Unis, les sommes en jeu représentant des dizaines de milliards de dollars, selon des experts.