«Un loup déguisé en agneau.» L'expression a été utilisée par le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou pour désigner le nouveau président iranien Hassan Rohani.

À l'entendre, Rohani serait encore plus dangereux que son prédécesseur, Mahmoud Ahmadinejad. Vous vous souvenez de lui? Ce politicien aussi populiste que belliqueux a plusieurs fois dit souhaiter qu'Israël soit rayé de la carte.

Le ton conciliant adopté par un Rohani tout sourire sous son turban, ces derniers jours, contraste avec les menaces et insultes proférées jadis par Ahmadinejad contre Israël et le «Grand Satan» américain. Sa modération donne l'impression que la présidence iranienne était, au cours des dernières années, en pleine crise d'adolescence. Qu'elle vient de faire son entrée dans l'âge adulte.

Ce changement de ton a rapidement séduit bon nombre de dirigeants occidentaux, y compris le président américain. Barack Obama a donné son aval à une rencontre sur la question du nucléaire à laquelle participeront aujourd'hui son secrétaire d'État, John Kerry, et le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif.

Le caractère historique de l'événement mérite d'être souligné. Il y a longtemps qu'une rencontre de si haut niveau entre les deux pays ne s'était produite. Cette guerre froide perdure depuis 1979, année de la révolution islamique et de la prise d'otages à l'ambassade américaine à Téhéran.

Mais à écouter Benyamin Nétanyahou, tout réchauffement diplomatique est dangereux. Il a qualifié le discours de Rohani, prononcé mardi à l'ONU, de «cynique et totalement hypocrite».

Il faut comprendre que les dirigeants israéliens jouent des tambours de la guerre depuis quelques années dans le dossier iranien. Mais ils auront beaucoup plus de mal à obtenir le soutien de leurs alliés occidentaux s'ils décident d'attaquer un pays qui se dit prêt à négocier. Les discours incendiaires d'Ahmadinejad étaient, pour les faucons, du pain bénit.

Au sein de l'administration Obama, le désir israélien d'en découdre avec l'Iran est perçu depuis longtemps comme une hérésie. Le président américain et ses proches sont convaincus qu'attaquer le pays des mollahs ne ferait que retarder de quelques années leur accès à la bombe nucléaire. Ils estiment que la négociation est un moyen bien plus sûr d'éviter ce scénario tant redouté.

D'où le désir d'Obama de mettre pour l'instant tous ses oeufs dans le même panier, celui de la «voie diplomatique».

D'autant plus qu'il sait que Rohani a des raisons de mettre de l'eau dans son vin. Il a été élu, en juin dernier, en promettant d'obtenir l'allègement des sanctions prises à l'égard de son pays. Sanctions qui ont envenimé la crise économique et vont jusqu'à perturber l'approvisionnement en médicaments. Bref, l'Iranien moyen souffre et souhaite du changement.

Il y a bien sûr une différence entre tenter de négocier avec Rohani et croire qu'il est le Nelson Mandela iranien. Vrai, il était l'un des candidats modérés à l'élection présidentielle. Mais sa candidature avait au préalable été validée (comme celles de ses sept rivaux) par le Conseil des gardiens de la Constitution, contrôlé par le très conservateur Ali Khamenei.

Le véritable homme fort de l'Iran, c'est lui. Cet ayatollah septuagénaire a le dernier mot sur les décisions des principales instances décisionnelles du pays et dirige les forces de l'ordre. Israël estime que l'avenir du programme nucléaire iranien dépend de lui. Pas de Rohani.

Depuis des années, conservateurs et modérés sont à couteaux tirés au sein de l'appareil d'État iranien. Certains observateurs affirment d'ailleurs que si Rohani n'a pas serré la main d'Obama à l'ONU, c'est qu'il craignait une réaction négative des dirigeants les plus radicaux à Téhéran.

Rohani est-il un agneau qui rêve de convaincre Ali Khamenei des vertus de la modération dans le dossier du nucléaire? Est-il plutôt un loup qui joue un double jeu? La seule façon d'en avoir le coeur net est d'entamer des négociations. N'en déplaise aux faucons israéliens.

TROIS ACTEURS DU DOSSIER NUCLÉAIRE

HASSAN ROHANI

Élu président en juin dernier, ce dignitaire religieux s'était hissé parmi les hauts dirigeants iraniens dès le tout début de la révolution islamique en 1979. Il a passé plusieurs années au Conseil suprême de sécurité nationale avant d'être nommé responsable des négociations sur le nucléaire iranien (de 2003 à 2005). On le dit modéré et, surtout, pragmatique.

ALI KHAMENEI

Élu guide suprême iranien après la mort de l'ayatollah Khomeini, en 1989, il avait auparavant siégé sept ans comme président du pays. Ce numéro un du régime iranien a récemment été décrit par le New York Times comme un homme « énigmatique et rusé ». On se demande d'ailleurs pourquoi ce conservateur permet actuellement à Rohani de tendre la main aux États-Unis.

Photo Associated Press

Le guide suprême d'Iran, Ali Khamenei.

MOHAMMAD JAVAD ZARIF

Ancien représentant permanent de l'Iran à l'ONU, il est devenu ministre des Affaires étrangères après l'arrivée au pouvoir d'Hassan Rohani. Sa nomination a été interprétée comme un geste d'ouverture de la part du président. Zarif, qui détient un doctorat de l'Université de Denver, a toujours semblé vouloir favoriser un rapprochement entre Téhéran et Washington.

PHOTO BEHROUZ MEHRI, AFP

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif.