Du Limpopo au Cap-Occidental, les Sud-Africains rendent hommage à Nelson Mandela ces jours-ci. Mais pas à Kleinfontein, enclave 100% afrikaner.

Au total, ils sont à peine un millier, tous Blancs, sur leurs 713 hectares clôturés à une trentaine de kilomètres de Pretoria, capitale administrative de l'Afrique du Sud. Et pour entrer dans leur territoire, il vaut mieux avoir pris rendez-vous. «Bienvenue! Marisa vous attend au café», lance le gardien de sécurité vêtu comme un militaire qui veille sur l'enceinte de sécurité séparant ce «village culturel» du reste de l'univers.

Marisa Haasbroek, porte-parole officielle de cette commune blanche comme neige, propose un tour guidé de sa communauté administrée sous forme de coopérative, où les résidants achètent des «parts» (et non leur propriété) et où l'ultime critère d'admission consiste à avoir la peau blanche et l'identité afrikaner tatouée sur le coeur. En guise de bienvenue, elle fait jouer une musique traditionnelle de langues afrikaans ou française.

«Vous savez, environ 50% d'entre nous ont des ancêtres huguenots», rappelle Mme Haasbroek, une rieuse mère de famille de 50 ans qui établit en cours d'entretien de nombreux rapprochements entre la cause des Blancs afrikaners d'Afrique du Sud et celles des francophones d'Amérique du Nord ou des Catalans qui revendiquent l'indépendance.

Avec ses chemins de terre cahoteux, son étang où est puisée l'eau potable, ses maisons en brique rouge, son centre culturel construit avec les profits d'une vente de crêpes et ses zèbres qui gambadent dans le parc naturel jouxtant le village, Kleinfontein a l'apparence d'une banlieue-dortoir sans luxe excessif. Toutes les enseignes sont en afrikaans et l'uniformité culturelle triomphe.

«Ils font partie de cette catégorie de Blancs sud-africains qui n'ont jamais accepté le concept de "nouvelle" Afrique du Sud de l'après-apartheid», estime John Sharp, anthropologue à l'Université de Pretoria. Symbole honteux d'une nostalgie raciste? Pas si vite, dit l'anthropologue, qui explique pourquoi il faut user de prudence avant de tirer sur les Afrikaners.

«Je ne suis pas sympathique à la cause de ces gens, mais n'allez pas croire qu'ils sont si différents du reste du monde. Pensez à l'Europe, qui resserre de plus en plus son immigration. Et cette idée de se retrouver parmi des gens qui partagent la même langue et les mêmes valeurs sociales et culturelles, n'est-ce pas un peu la réalité du Québec?», demande-t-il.

Mandela l'homme ordinaire

Kleinfontein, qui a été fondée en 1992, a été l'objet d'une attention médiatique sans précédent dans les derniers mois. Cette enclave blanche a choqué par sa politique raciale discriminatoire. En réaction à la mort de Nelson Mandela, Marisa Haasbroek se défend de parler au nom de tous les Afrikaners.

«La communauté de Kleinfontein ne représente que 1000 personnes sur 2 millions d'Afrikaners. Pour nous, il y a deux Mandela: l'icône médiatique qui est vu presque comme un saint, et l'homme ordinaire qui a fait de bonnes et de mauvaises choses. Seul le temps dira quel aura été son impact sur ce pays et le reste du monde.» Mme Haasbroek déplore le fait qu'en début de carrière, Nelson Mandela «était prêt à utiliser des armes contre des femmes et enfants innocents, dans le but d'atteindre ses objectifs politiques».

Les résidants de Kleinfontein se défendent bien d'être racistes. Certes, les 50 millions de Sud-Africains noirs ne peuvent y élire domicile. Mais cette interdiction s'applique tout autant aux descendants des colons britanniques.

«Regardez, les Noirs ont quand même le droit d'entrer dans le territoire», dit Marisa Haasbroek, désignant le duo d'ambulanciers venus à la rescousse d'un résidant de la maison de retraite.

Une majorité de résidants a choisi de se retirer parmi les siens pour des motifs de sécurité. Marisa Haasbroek, par exemple, a été attaquée dans sa voiture à Pretoria, en plein jour. «Mon mari a commencé à s'inquiéter pour les enfants et moi. Mes beaux-parents vivaient déjà ici, nous connaissions bien l'endroit.»

Rencontrée dans le jardin de sa modeste maison du quartier ouvrier de Kleinfontein, Élise (qui n'a pas divulgué son nom de famille) se montre moins nuancée envers ses concitoyens noirs. «Je ne veux plus vivre à Pretoria, c'est trop noir. Mes enfants ont des copains noirs, mais c'est leur problème. Ils peuvent vivre là-bas. Moi, je vis ici.»

Encore aujourd'hui, plusieurs foyers aisés d'Afrique du Sud emploient des jardiniers, femmes de ménage et nounous noirs. Mais à Kleinfontein, la main-d'oeuvre est 100% blanche et vit dans des habitations de fortune, qui ne sont pas sans rappeler la pauvreté de certainstownships. «Mais tous ces foyers ont l'eau courante et l'électricité», note Marisa Haasbroek.

Amélia Terreblanche, mère de famille de 23 ans, est arrivée à Kleinfontein il y a trois ans, avec comme seuls bagages deux sacs d'épicerie. Son mari, travailleur de la construction, a perdu son emploi. «C'est la faute des programmes de discrimination positive. Plein de Blancs ont perdu leur emploi», clame Marisa Haasbroek.

Avec sa moyenne d'âge de 60 ans et son territoire minuscule, Kleinfontein ne représente pas une menace pour la mixité de l'Afrique du Sud, estime John Sharp. Mais, même s'ils ont été critiqués, les habitants de Kleinfontein poursuivent leur croisade culturelle. «Leur foi en cette cause est religieuse», estime l'anthropologue.

Marisa Haasbroek refuse la comparaison avec une communauté sectaire. «Nous ne sommes pas des Amish. Nous avons l'internet!»