Les huées qui ont accueilli le président sud-africain Jacob Zuma mardi lors de la cérémonie d'hommage à Nelson Mandela témoignent de son impopularité, mais aussi de la désillusion de nombre de Sud-Africains, 19 ans après les grands espoirs nés avec l'avènement de «Madiba».

Le Congrès national africain (ANC), parti au pouvoir depuis 1994, reste certes la principale force politique du pays, et tous les analystes lui prédisent une large victoire aux élections générales d'avril prochain.

Mais l'incapacité à relever les défis les plus lourds de l'après-apartheid, chômage, éducation et logement notamment, ont fortement entamé le crédit du «parti de la libération» auprès d'une large part de la population.

Même si les sifflets, mardi, semblaient partir essentiellement d'un groupe de partisans de Julius Malema, le jeune leader populiste expulsé de l'ANC.

Phumzile Vilakaza, la trentaine, a quitté le stade mardi avant même la fin du discours de Jacob Zuma: «Je ne l'écoute pas. Il devrait penser à nous, ici. On en a marre des impôts qui augmentent, des péages, des prix de la nourriture qui montent, alors que la plupart d'entre nous n'avons pas de boulot.»

«Les gens disent que Zuma est corrompu», renchérit Themba Nkunzana, 39 ans, ex-membre de l'ANC qui a quitté le parti quand Zuma a pris le pouvoir. «Il a piqué 200 millions dans les caisses de l'État pour sa résidence.»

Cette «affaire» de la résidence privée du président, rénovée aux frais de l'État pour plus de 200 millions de rands (20,5 millions $ CAN), a fait scandale, et écorné l'image personnelle de Jacob Zuma, chef d'un pays où des millions de gens vivent encore dans des bidonvilles sordides sans eau ni électricité.

«Notre président actuel en profite, avec sa famille, alors que Madiba (Nelson Mandela) travaillait pour le peuple», assure Shadreck Monnakgotla, également présent à la cérémonie mardi: «Regardez la résidence, Madiba n'a jamais fait construire quelque chose comme ça à Qunu (son village), sa maison est très modeste.»

Ella Mokone, 53 ans, comprend elle aussi les sifflets: «C'est à cause de ce scandale, il gaspille de l'argent pour construire des maisons pour toutes ses femmes», dit-elle, dans une allusion à la polygamie du président, qui a actuellement quatre épouses.

Et l'on reproche également au président de protéger certains de ses ministres officiellement accusés de corruption, dont il n'exige pas la démission.

Inégalité persistante

De fait, l'Afrique du Sud «est encore très loin de la société que Mandela avait en tête», note Frans Cronje, de l'Institut sud-africain des relations entre les races (SAIRR), observatoire pionnier de la transformation du pays.

«Quatre Sud-Africains noirs sur dix ne terminent pas l'école, ce n'est clairement pas ce que Mandela imaginait. Et quand ils y arrivent, ils ne sont pas au niveau des exigences du système économique», ajoute M. Cronje.

Depuis deux décennies, les lignes de partage économique ne coïncident plus uniquement avec la couleur de la peau, mais la grande majorité de la population souffre du chômage et de la pauvreté.

Des efforts énormes ont été accomplis pour viabiliser les townships noires en bâtissant plus d'un million de logements bon marché. La législation donne la priorité aux Noirs à l'embauche et impose le développement d'un actionnariat noir.

Mais les enfants de certains quartiers n'ont encore jamais vu couler l'eau de robinet chez eux et depuis trois ans, régulièrement, des quartiers mal desservis explosent frôlant l'émeute: 20% des foyers en moyenne n'ont toujours pas l'eau courante, 10% pas d'électricité, dans un pays qui abonde en piscines dans les beaux quartiers et en clôtures électrifiées.

Presque 100% des plus démunis sont Noirs, c'est toujours vrai.

Mais parmi les plus aisés en 2010, 19% sont Noirs, les fameux «Diamants noirs» (et 65% sont Blancs) contre 3% dix ans auparavant.

Exemple d'inégalité persistante: un salaire d'employé de supermarché ne permet pas d'avoir une couverture santé dans un pays où la médecine privée est à ce point excellente que de nombreux chefs d'État et dignitaires étrangers choisissent l'Afrique du Sud pour se faire hospitaliser.

En 2009, juste avant de se retirer définitivement de la vie publique, Mandela avait indirectement reconnu son principal échec, en lançant: «Nous devons nous rappeler que notre première tâche est d'éradiquer la pauvreté et d'assurer une meilleure vie à tous.»