Le premier anniversaire de la mort d'Oussama ben Laden devrait donner lieu aux États-Unis à une trêve politique où démocrates et républicains saluent la disparition de l'ennemi public numéro un de leur pays. Or il n'en est rien.

Les républicains s'insurgent ces jours-ci contre une publicité diffusée par l'équipe de réélection de Barack Obama qui vante la décision du président d'éliminer le chef d'Al-Qaïda et ramène sur le tapis une déclaration de Mitt Romney remontant à 2007. Lors d'une interview, l'ancien gouverneur du Massachusetts avait estimé qu'il n'était pas nécessaire de «remuer ciel et terre, et de dépenser des milliards de dollars simplement pour tenter d'attraper une personne».

Lundi, le prétendant républicain à la Maison-Blanche a tenu à préciser qu'il aurait pris la même décision que Barack Obama il y a un an. «Même Jimmy Carter aurait donné cet ordre», a-t-il précisé en mentionnant le nom d'un président démocrate jugé faible par certains sur les questions de sécurité nationale.

Mais cette escarmouche ne devrait pas occulter le débat plus important qui devrait avoir lieu sur ce que la mort du commanditaire des attentats du 11 septembre 2001 a changé ou non dans la lutte contre le terrorisme. Pour explorer cette question, La Presse présente l'opinion de trois spécialistes.

CE QUI A CHANGÉ

LA NATURE DE LA MENACE

Avant même l'élimination d'Oussama ben Laden, les capacités opérationnelles du coeur d'Al-Qaïda avaient été sérieusement dégradées par une série d'attaques ayant ciblé plusieurs dirigeants de l'organisation. Le contre-terrorisme américain a poursuivi cette campagne au cours de la dernière année grâce au trésor d'informations trouvé dans la résidence de ben Laden à Abbottabad.

«En conséquence, nous avons vu la menace [terroriste] changer dans sa nature», dit Valentina Sorina, qui a récemment signé une étude sur le djihad mondial pour le compte de l'institut britannique de recherche RUSI. Ce terrorisme «est moins sophistiqué, moins spectaculaire et, dans un certain sens, presque aléatoire, car la responsabilité de mener à bien les attaques incombe désormais à des individus radicalisés qui sont plus ou moins liés avec le coeur d'Al-Qaïda ou certains de ses affiliés», ajoute la spécialiste.

LA GÉOGRAPHIE DU DJIHADISME

Les États-Unis continuent d'engloutir des milliards de dollars en Afghanistan et au Pakistan pour lutter contre Al-Qaïda et ses alliés extrémistes. Mais la dissémination du djihadisme se poursuit ailleurs, et pas seulement au Yémen, où la CIA a récemment obtenu le feu vert de la Maison-Blanche pour étendre sa campagne d'attaques de drones contre les militants d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique.

Un an après la mort d'Oussama ben Laden, Al-Qaïda compte également des «partenaires» en Somalie (les insurgés shebab), au Maghreb (Al-Qaïda au Maghreb islamique) et au Nigeria (Boko Haram), souligne Daniel Byman, spécialiste du contre-terrorisme à la Brookings Institution, un groupe de recherche de Washington qui a organisé une discussion sur l'après-ben Laden la semaine dernière.

«Le coeur d'Al-Qaïda est composé d'environ 100 personnes. Mais sa véritable armée, ce sont ses groupes affiliés. Et qu'ils soient près ou loin, ce sont eux qui déterminent la dangerosité de l'organisation principale et la dangerosité de la menace terroriste globale», dit-il.

LES RELATIONS PAKISTANO-AMÉRICAINES

Déjà tendues en temps normal, les relations entre Washington et Islamabad ont atteint un point de rupture depuis l'opération qui a mené à l'élimination d'Oussama ben Laden. Les tirs de drones et l'attaque d'un hélicoptère de l'OTAN contre un poste militaire pakistanais en novembre ont également contribué à cette détérioration. Mais le raid des Navy Seals contre la résidence du chef d'Al-Qaïda à Abbottabad a cristallisé le malaise.

«Pour les Pakistanais, les États-Unis apparaissent de plus en plus comme une superpuissance arrogante qui a décidé de transformer leur pays en charnier où elle peut tuer qui bon lui semble», dit Bruce Riedel, ancien agent de la CIA spécialiste de l'Asie du Sud.

«Pour les Américains, bien sûr, le Pakistan est un pays fourbe qui mène un double jeu dans la guerre au terrorisme, qui prend notre argent et qui héberge ensuite des terroristes de premier plan qui tuent des Américains. Le problème est que les deux parties ont essentiellement raison.»

CE QUI N'A PAS CHANGÉ

LA RÉSILIENCE D'UN MODÈLE IDÉOLOGIQUE

Il serait réconfortant de penser que le modèle idéologique offert par Al-Qaïda a été liquidé lors du Printemps arabe. Après tout, les révolutions qui ont fait tomber les autocrates au pouvoir en Tunisie et en Égypte n'ont-elles pas démontré le pouvoir de la jeunesse et du militantisme pacifique? Les suites du Printemps arabe laissent évidemment entrevoir que la réponse n'est pas simple. «Si on compare la popularité actuelle des groupes extrémistes à celle dont ceux-ci jouissaient au plus fort de la guerre en Irak, on voit un changement majeur, dit Daniel Byman, de la Brookings Institution. Mais on voit encore que, dans certains endroits comme l'Indonésie ou les territoires occupés palestiniens, plus d'un quart de la population a une opinion relativement favorable à Al-Qaïda. C'est un nombre renversant de gens. Cela ne veut pas dire qu'ils sont tous des djihadistes potentiels, mais cela démontre que le discours d'Al-Qaïda n'a pas complètement été discrédité.»



LES VISÉES D'AQPA

De tous les groupes extrémistes liés formellement ou non à Al-Qaïda, seul Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) continue, un an après la mort d'Oussama ben Laden, à avoir l'intention et la capacité d'orchestrer une attaque contre l'Occident, selon Valentina Soria, de l'institut de recherche britannique RUSI.

«Cela dit, des groupes comme les insurgés shebab, Al-Qaïda en Irak et Al-Qaïda au Maghreb continueront à représenter une menace pour la sécurité régionale, tout en contribuant à soutenir et à promouvoir l'idéologie jihadiste défendue en premier lieu par ben Laden, indique la spécialiste. Pour l'heure, cela semble être son véritable héritage.»

Photo: AFP

Les militants anti-gouvernement égyptiens ont célébré la chute du régime d'Hosni Moubarak en février 2011.