L'hôtel Serena à Islamabad a été passé au peigne fin avant que le sénateur américain John Kerry arrive pour donner une conférence de presse. La sécurité était gigantesque, les couloirs grouillaient d'hommes avec des télex dans les oreilles, l'escouade antibombes ratissait tous les coins et recoins et les journalistes devaient franchir deux détecteurs de métal.

Depuis que les Américains ont abattu Oussama ben Laden à Abbottabad, une ville située à 80 kilomètres de la capitale, Islamabad, les membres d'Al-Qaïda ont promis de venger sa mort. John Kerry représentait une cible de choix. Américains et Pakistanais n'ont pas lésiné sur la sécurité.

John Kerry est arrivé escorté par la police et encadré par une dizaine de voitures. Il avait une heure et demie de retard. Il est entré d'un pas souple dans le chic hôtel cinq étoiles. Au moins une vingtaine d'attachés politiques, conseillers et membres de l'ambassade américaine papillonnaient autour de lui, sans oublier les photographes qui le mitraillaient. Au lieu d'entrer dans la pièce où les journalistes l'attendaient, il a ouvert la porte des toilettes. Un homme l'a accompagné, sécurité oblige.

Malaise. Personnel politique et photographes ont fait le pied de grue devant les toilettes pendant cinq minutes.

Il y avait deux points de presse séparés: un premier pour les journalistes pakistanais et un deuxième pour les journalistes occidentaux.

C'était la première fois qu'un dirigeant américain venait au Pakistan depuis la crise d'Abbottabad. Les relations entre le Pakistan et les États-Unis étaient glaciales. Le Pakistan accusait les Américains d'avoir violé leur souveraineté en débarquant au milieu de la nuit pour abattre ben Laden sans les avertir; les États-Unis, eux, affirmaient que ben Laden ne pouvait pas avoir vécu pendant cinq ans sous le nez des militaires pakistanais sans avoir eu des complices dans l'armée ou les services secrets.

Hier, le ton était à la conciliation. Le Pakistan et les États-Unis avaient rangé leurs couteaux. John Kerry, qui a passé 24 heures à Islamabad, a rencontré les hauts dirigeants: le président, le premier ministre, le chef de l'armée et celui des services secrets.

«Je ne suis pas venu ici pour m'excuser, mais pour reconstruire les ponts, a dit John Kerry devant une quarantaine de journalistes. Les deux pays ont besoin l'un de l'autre pour combattre le terrorisme.»

Il a ajouté que le secret entourant l'opération ben Laden était crucial. Même lui n'avait pas été mis au courant.

«Croyez-vous que les Pakistanais ont aidé ben Laden à se cacher?», a demandé un journaliste.

«Nous n'avons aucune preuve», a prudemment répondu John Kerry.

L'incident qui a mis le feu aux poudres entre les deux pays est clos.

Imtiaz Gul, grand spécialiste des questions de sécurité, ne croit pas l'armée pakistanaise lorsqu'elle affirme qu'elle ne savait pas que ben Laden était caché depuis cinq ans dans une villa d'Abbottabad située à moins d'un kilomètre d'un cantonnement militaire où vivent 5000 soldats.

Je l'ai rencontré dans son bureau en désordre quelques heures avant le point de presse de John Kerry.

«Les Américains sont allés trop loin, a-t-il dit avec une pointe de colère dans la voix. Ils ont humilié le Pakistan. Ils ne doivent pas nous tenir pour acquis. Oui, les Américains nous ont donné 20 milliards en 20 ans, mais 14 de ces milliards ont servi à la guerre contre le terrorisme.»

«Si les États-Unis menacent de nous retirer l'aide, comment vont-ils surveiller les 2500 kilomètres de frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan? Comment vont-ils gagner la guerre en Afghanistan sans notre soutien? Il y a une limite à humilier un pays. Nous sommes dépendants l'un de l'autre. Ils ont besoin de nous dans leur guerre contre le terrorisme et nous avons besoin de leur argent et de leur appui pour combattre les islamistes. Une telle relation de dépendance ne peut pas reposer sur le chantage.»

Le Pakistan et les États-Unis sont condamnés à s'entendre. C'est ce que John Kerry a expliqué hier aux journalistes.

Pour joindre notre journaliste: mouimet@lapresse.ca