Treize ans de traque. La cavale d'Oussama ben Laden s'est terminée de façon spectaculaire il y a près d'une semaine. Si certains détails de sa mort demeurent nébuleux et font l'objet de versions contradictoires et controversées, la conclusion reste inéluctable: «L'important, a déclaré le président Obama, c'est qu'Oussama ben Laden ne remarchera plus jamais sur Terre.»

28 avril 2011, Washington, États-Unis

« J'ai mieux à faire.»

Devant la presse, à qui il a dévoilé son certificat de naissance pour prouver ses origines hawaïennes, le président n'a pas caché son exaspération. Il a, en effet, d'autres soucis. La traque contre Oussama ben Laden, l'ennemi numéro un des États-Unis, pourrait prendre fin après 13 longues et frustrantes années.

Autour de la table, au lendemain de cette annonce, les conseillers du président sont divisés. Oussama ben Laden se trouverait dans cette résidence mystérieuse d'Abbottabad que les services secrets américains observent depuis l'été dernier.

Trois options se présentent à eux. Attendre d'obtenir plus de renseignements. Bombarder le complexe. Ou envoyer un commando armé sur le terrain.

Barack Obama sollicite l'avis de ses conseillers. La moitié plaide pour l'attente ou le bombardement. L'autre moitié - dont le responsable antiterroriste à la Maison-Blanche, John Brennan, et le directeur de la CIA, Leon Panetta - privilégie le commando.

L'envoi d'un commando secret sur le terrain pourrait engendrer des conséquences graves. La mort de civils pakistanais, une prise d'otage, la mort de soldats américains, la rupture brutale des relations diplomatiques avec le Pakistan... Le spectre de Black Hawk Down, titre d'un livre et d'un film sur la mission américaine en Somalie où deux hélicos ont été abattus et des soldats tués lors d'un raid désastreux en 1993, est constamment évoqué. La CIA dit que la possibilité de la présence de Ben Laden dans le complexe se situe entre 50% et 80%.

Après avoir écouté chacun de ses conseillers, le président reste pensif. Il les remercie et met fin à la réunion sans révéler sa décision. Obama veut prendre la nuit pour y penser.

Au petit matin, avant de s'embarquer dans un hélicoptère pour aller observer les dommages des tornades en Alabama, il appelle ses conseillers. Sa décision est prise.

17 septembre 2001, Washington, États-Unis

« Mort ou vif.»

Moins d'une semaine après les attentats du 11 septembre, le président George W. Bush reprend une métaphore de cow-boy pour relancer la traque d'Oussama ben Laden. Le chef d'Al-Qaïda est le suspect numéro un des attaques contre les États-Unis, dit le président.

Ben Laden n'est pas un inconnu. Le 14 novembre 1995, au centre-ville de Riyad, en Arabie Saoudite, devant un centre d'entraînement de la Garde nationale saoudienne opéré par les États-Unis, une voiture piégée explose. Sept personnes, dont cinq Américains, périssent dans un attentat attribué aux fondamentalistes religieux outrés par la présence américaine en terre d'Islam.

Trois ans plus tard, en juin 1998, un tribunal américain accuse une première fois Oussama ben Laden d'avoir comploté pour attaquer des intérêts américains.

En août 1998, quand des bombes déchiquètent les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, Al-Qaïda est encore montrée du doigt.

Le 7 juin 1999, Oussama ben Laden apparaît sur la liste des 10 fugitifs les plus recherchés par le FBI.

En octobre 2001, lorsque le FBI diffuse sa première liste des 10 terroristes les plus recherchés, Oussama ben Laden y figure au premier rang.

Été 2010, Peshawar, Pakistan

Dans la circulation infernale, une Suzuki blanche se fraie un chemin. À bord, un homme, le messager de confiance d'Oussama ben Laden. Derrière la Suzuki, une voiture conduite par des Pakistanais au service de la CIA. Ils notent le numéro de la plaque du véhicule conduit par le messager.

Son nom est connu depuis peu. Des prisonniers aux mains des Américains avaient révélé - possiblement sous la torture - le pseudonyme de l'homme de confiance de Ben Laden voilà des années. Mais en 2005, minée par une crise interne, la CIA n'avait toujours pas découvert sa véritable identité. C'est en faisant le ménage dans ses méthodes d'enquête et en envoyant plus d'espions sur le terrain que l'agence a finalement pu apprendre son vrai nom.

En ce mois de juillet 2010, le messager est suivi à la trace pendant plusieurs jours, jusqu'à Abbottabad, avant de disparaître derrière les murs de bétons d'une vaste résidence. À des milliers de kilomètres de là, dans un laboratoire du Maryland, des agents américains utilisent les meilleures images satellites possibles pour étudier le repaire.

Pendant les mois qui suivent, la CIA s'installe dans une maison du quartier pour observer l'étrange complexe. Une conception 3-D de l'immeuble est créée sur ordinateur pour opérer des simulations de l'attaque. Des répliques sont construites en divers endroits aux États-Unis pour entraîner un commando... qui ignore alors qui serait la cible de l'attaque.

Ne manque plus que l'aval du président.



1er mai 2011, Washington, États-Unis

À partir du moment où il a donné le feu vert à l'opération, le président ne peut plus rien faire. Il ne lui reste plus qu'à attendre les résultats.

Dimanche après-midi, toutes les visites officielles et touristiques sont annulées dans l'aile ouest (West Wing) de la Maison-Blanche. Un employé se rend chez Costco faire le plein de provisions - des pitas à la dinde, des crevettes, des croustilles et des boissons gazeuses.

Barack Obama et ses conseillers se rassemblent vers 14h dans la Situation Room de la Maison-Blanche. Devant eux, des écrans, des hauts-parleurs, pour obtenir les détails les plus récents de l'opération.

Leon Panetta, directeur de la CIA, depuis ses bureaux situés de l'autre côté du fleuve Potomac à Washington, annonce que quatre hélicoptères transportant 79 membres de l'équipe d'élite SEAL Team Six ont décollé de la base de Jalalabad, en Afghanistan, et sont maintenant entrés au Pakistan.

Le groupe est silencieux. Le visage d'Obama est impassible. Le vice-président Joe Biden égraine les perles d'un chapelet. John Brennan se rappelle que «les minutes étaient aussi longues que des jours». Il n'y a pas d'images filmées par le commando lui-même. Pendant quelques 25 minutes, les dirigeants américains ignorent ce qui se passe à l'autre bout du monde.

2 mai 2011, Abbottabad, pakistan

La nuit est tombée dans le quartier de classe moyenne Bilal Town, d'Abbottabad, à quelque 100 km au nord de la capitale, Islamabad. Il y a sept ans, deux hommes ont acheté un terrain et fait ériger une grande maison blanche, de trois étages, entourée de murs de béton de plus de cinq mètres, surmontés de barbelés.

Les résidants sont réputés être une famille à l'aise. Les voisins se sont fait dire que l'oncle de la famille posséde un hôtel à Dubaï, ou que les hommes gèrent une entreprise dans le transfert d'argent.

Ce qui se passe à l'intérieur des murs demeure un mystère. Des vaches et un boeuf sont gardés dans la partie sud du complexe, non loin d'un puit et de la maison du gardien. Pas d'internet, pas de téléphone. Les enfants sont éduqués dans une chambre de la maison transformée en salle de classe. Même les ordures sont brûlées sur place plutôt que d'être mises à la rue.

Les occupants de la maison interdisent aux enfants du quartier de franchir les murs pour aller récupérer un ballon qui y a rebondi par erreur. À la place, ils leur refilent 50 roupies pour qu'ils aillent s'en acheter un autre. Pas fous, les enfants se sont mis à catapulter des tas de ballons par-dessus les murs pour obtenir de l'argent!

La nuit est bientôt troublée par le vacarme des hélicoptères. Au-dessus du complexe, l'un des engins éprouve des ennuis mécaniques et doit se poser précipitamment. Le bruit réveille les occupants.

Ce qui s'est passé à partir de ce moment a fait l'objet, dans les jours qui ont suivi le raid, de versions contradictoires.

Les autorités américaines ont d'abord parlé d'une fusillade avec des résidants du complexe; en fait, un seul homme, le messager Abu Ahmed al-Kuwaiti, aurait tiré sur les soldats du commando, qui l'auraient rapidement abattu.

En tout, une femme et trois hommes - identifiés par certains comme étant Hamza, fils adulte de Ben Laden, le messager, son épouse et son frère - auraient été tués.

D'autres occupants de la maison sont menottés. La fille de 12 ans de Ben Laden aurait été blessée à la cheville.

Au troisième étage de la maison, le commando trouve Ben Laden, portant une tunique dans laquelle sont cousus dans les replis 500 euros et deux numéros de téléphone.

Les Américains racontent d'abord que l'homme était armé et s'est servi de son épouse comme bouclier humain, avant de changer leur version: en fait, son épouse s'est elle-même ruée sur les soldats avant d'être blessée d'une balle à la cuisse.

Le chef d'Al Qaïda, disent les autorités américaines, a «résisté» avant de recevoir deux balles, à la tête et à la poitrine. Ben Laden n'était pas armé, précise plus tard la Maison-Blanche. Mais il aurait eu deux armes, dont une mitrailleuse AK-47, à sa portée.

Après avoir abattu sa cible, le commando récupère son corps, en plus de documents et de matériel informatique trouvés dans l'immeuble. Il détruit l'hélico en panne avant de quitter rapidement, laissant derrière lui trois femmes et neuf enfants âgés entre 2 et 12 ans.

En tout et partout, l'opération a duré 40 minutes.

1er mai 2011, Washington, États-Unis

«Geronimo EKIA» (Ennemy kill in action), annonce Leon Panetta, de la CIA.

Silence dans la Situation Room. Le président Obama est le premier à réagir. «On l'a eu.»

2 mai 2011, Mer d'Oman

Le président Obama vient à peine d'annoncer aux Américains, le soir du 1er mai, que «justice est faite». Aussitôt, dans les rues de New York, la foule descent dans les rues pour célébrer.

La fête bat toujours son plein à Times Square aux petites heures du matin quand, à bord du porte-avion américain Carl-Vinson voguant sur la mer d'Oman, une dépouille est lavée, enveloppée dans un linceul blanc et placée dans un sac lesté. Un peu plus tôt, sur une base américaine en Afghanistan, un échantillon d'ADN a été prélevé. Cet échantillon et une comparaison du corps avec des photos ont permis d'établir qu'il s'agissait bien de celui d'Oussama ben Laden.

Sur la plateforme du porte-avion, une poignée de marins sont réunis. Un officier lit une prière, traduite ensuite en arabe par un interprète. Puis, sans autre cérémonie, le corps de l'ennemi numéro un des États-Unis est jeté à la mer.

Sources: The New York Times, Politico, The Washington Post, The Telegraph, Slate, The Guardian, Associated Press.

Photo New York Times

Les New-Yorkais ont manifesté leur contentement après l'annonce de la Maison-Blanche.