Bâtisse jusque-là anonyme nichée au pied des montagnes du nord pakistanais, la dernière demeure d'Oussama Ben Laden est désormais une attraction mondiale encombrante pour les autorités, qui songent à la détruire pour éviter d'en faire un lieu de pèlerinage.

Lundi, au moment où les Américains faisaient basculer en mer d'Oman le corps du chef d'Al-Qaïda, afin que sa tombe ne devienne pas un mausolée islamiste à sa gloire, les curieux commençaient à se rassembler autour des hauts murs de béton entourant la maison blanche à trois étages d'Abbottabad.

La police locale a tenté depuis de les dissuader d'approcher le bâtiment propulsé à la une des médias du monde entier. En vain: mercredi en fin de journée, ils étaient plus de 500 curieux, sans compter les dizaines de journalistes locaux et internationaux qui attendent toujours de pouvoir passer le portail, pour l'heure toujours sous scellés.

Tous arrivent de la ville ou des environs, en suivant la route puis à travers les champs de légumes qui font face à la bâtisse blanche.

«C'est désormais un monument», note Mohammed Fayaz, contremaître de 32 ans installé à Bilal Town, quartier prospère et paisible encore abasourdi par le raid éclair des forces spéciales américaines, dans la nuit de dimanche à lundi, puis par l'annonce, le matin, de la mort sur place d'Oussama ben Laden.

Mohammed tient dans ses mains un journal local à la une barrée par la photo de la désormais célèbre maison d'Abbottabad, l'une des villes les plus paisibles du pays, où sont installés plusieurs centres de l'armée.

Toute cette affaire n'enchante guère le contremaître, qui craint de voir arriver chez lui ce terrorisme qui ensanglante le reste du pays depuis près de quatre ans. «Le monde entier va vouloir venir voir, il va y avoir des rassemblements, et cela peut devenir dangereux», explique-t-il.

«Il y a de plus en plus de monde», remarque le policier Mohammad Saleem, en admettant n'avoir «aucun moyen de savoir qui est un partisan d'Al-Qaïda et qui ne l'est pas». Autour de lui, la foule des curieux s'ébroue dans une atmosphère bon enfant. Les plus jeunes s'en donnent à coeur joie: à chaque fois qu'un homme à longue barbe passe devant eux, ils l'apostrophent: «Alors, quoi de neuf, Oussama ?"

Des jeunes femmes de cette cité prospère et assez libérale y défilent, finemement maquillées et drapées dans des tuniques et châles aux couleurs vives, comme Khala, une professeure de 24 ans, en gris et violet.

«Tout le monde va vouloir venir», dit-elle, «mais l'armée ne permettra pas que cela devienne un symbole ou un lieu de pèlerinage à la gloire d'Al-Qaïda».

«Les partisans d'Al-Qaïda savent que la zone est très militarisée et que ni l'armée ni les habitants du quartier ne les laisseront s'installer ici», abonde le chef de l'administration du district, Zaheer ul-Islam.

L'affaire n'en reste pas moins encombrante pour les autorités, en partie discréditées par la révélation de la présence entre leurs murs, pendant plusieurs années et à quelques centaines de mètres de la très renommée académie militaire Kakul, de l'homme le plus recherché au monde.

Depuis mercredi, des rumeurs disent l'armée pakistanaise prête à détruire la maison, comme elle le fait parfois avec celles des talibans des zones tribales du nord-ouest, alliés à Al-Qaïda. «C'est une des possibilités étudiées», admet le policier Ghulam Abbas.

La bâtisse ne doit guère plus receler de trésors: déja peu luxueuse au départ, elle a été ratissée trois fois depuis dimanche, par l'armée américaine, l'armée pakistanaise, puis la police.

Dans un pays de près de 180 millions d'âmes où les jeunes de 15 à 24 ans sont illettrés à près de 35%, certains y verraient bien une future école, comme Ghulam Abbas. «Il n'y a pas de bonne école à Bilal Town, et c'est donc l'occasion», approuve le paysan Homayoon Khan, qui y voit un potentiel symbole de paix: «Cela permettra aux enfants de prier pour le gouvernement, pour nous... et pour Oussama».

Photo: AP

Une Pakistanaise photographie sa fille devant l'entrée de la résidence où Oussama ben Laden a été tué.