«Comment Oussama ben Laden a-t-il pu rester dans ce complexe pendant six ans et quelques sans être repéré?», a demandé hier le responsable antiterroriste de la Maison-Blanche, John Brennan. Mais le Pakistan s'est défendu hier d'avoir hébergé en toute connaissance de cause l'ennemi no1 des États-Unis.

Les yeux se tournent donc vers ses services de renseignement, réputés pour échapper au pouvoir civil et soupçonnés d'appuyer des combattants islamistes. Ken MacDonald, spécialiste du Pakistan à l'Université de Toronto, s'est souvent rendu dans la région d'Abbottabad. Les événements des derniers jours, observe-t-il, s'inscrivent dans une relation trouble entre deux pays «amis» qui se connaissent assez bien pour se méfier l'un de l'autre...

Question:  Qui sont les services secrets pakistanais?

R. Créée en 1948, l'agence du renseignement pakistanais Inter-Services Intelligence (ISI) aurait échoué à identifier le chef spirituel d'Al-Qaïda. «L'ISI est un peu l'équivalent du FBI au Pakistan. Mais l'ISI agit souvent de son propre chef et il a été difficile pour les gouvernements de diriger l'agence à cause de son pouvoir», note Ken MacDonald. Résultat: les objectifs affichés par le gouvernement ne sont pas nécessairement ceux observés par l'ISI. L'agence serait néanmoins déchirée entre ceux qui aideraient les islamistes de la région et ceux qui les considèrent comme une menace.

Q. Quelles sont les relations entre l'ISI et l'agence américaine du renseignement (CIA)?

R. Assez mauvaises. À la mi-mars, le Pakistan a libéré contre un versement de 2 millions de dollars un agent de la CIA détenu depuis deux mois pour le meurtre de deux jeunes Pakistanais. Une dizaine de jours avant le raid, le Pentagone a accusé l'ISI d'entretenir des relations avec les insurgés du réseau afghan Haqqani, allié d'Al-Qaïda. Ironie du sort: dans les années 80, la CIA avait utilisé l'ISI pour fournir des armes aux moudjahiddin qui combattaient les Soviétiques en Afghanistan, ouvrant la voie à la montée en pouvoir des talibans...

Q Hier, l'ambassadeur du Pakistan à Washington, Husain Haqqani, a réfuté les accusations d'échec et de complicité proférées contre l'ISI, ajoutant qu'il y aurait une «enquête». L'hypothèse selon laquelle l'ISI ignorait tout de la présence de ben Laden à Abbottabad est-elle plausible?

R. «Abbottabad n'est pas une banlieue d'Islamabad, précise Ken MacDonald. C'est le coeur d'une région de villégiature dans les montagnes. Mais elle a une longue tradition militaire, avec son académie de Kakul et ses trois brigades militaires - ce qui signifie qu'il y a une présence significative d'agents du renseignement. Alors, il est difficile d'imaginer qu'une telle maison puisse être construite et qu'un tel secret autour d'elle puisse être maintenu sans que l'ISI ne se pose des questions. L'évoquer, c'est dire qu'ils sont incompétents, et ils ne le sont pas.»

Q. Aux États-Unis, des sénateurs souhaiteraient réduire l'aide annuelle américaine de plus d'un milliard de dollars au Pakistan s'il s'avérait qu'Islamabad savait où se cachait ben Laden. Le Congrès suivra-t-il?

R. «Ce serait une erreur», croit Ken MacDonald. Les États-Unis, rappelle-t-il, ont déjà financé les combattants musulmans afghans grâce aux Pakistanais. «Lorsque les Russes se sont retirés, le sentiment général au Pakistan était: maintenant, nous devons nettoyer les dégâts. Et qu'ont fait les États-Unis? Ils ont quitté le pays, établi des relations commerciales avec l'Inde, mais pas avec le Pakistan! Cela a donné naissance à un ressentiment profond des Pakistanais qui ont dit: nous vous avons aidés à combattre celui que vous considériez comme votre ennemi en Afghanistan, et ensuite vous nous avez laissé tomber avec tous les problèmes. Alors, refaire le même coup aujourd'hui ne fera que causer un problème encore plus grand dans 20 ans.»