Il se faisait appeler Tariq et venait souvent acheter six ou sept pains ronds chez le boulanger du coin. Aujourd'hui, ses voisins d'Abbottabad se demandent si cet homme discret n'était pas le fils d'Oussama Ben Laden, caché derrière les hauts murs d'une villa voisine.

Dimanche soir, un commando américain à bord de plusieurs hélicoptères a pris d'assaut la mystérieuse demeure aux murs d'enceinte de quatre mètres de haut, juste en face de chez Abdullah Jan, trop effrayé pour donner son vrai nom.

Le lendemain (dimanche soir aux États-Unis), le président Barack Obama annonçait la mort d'Oussama ben Laden, l'homme le plus recherché du monde, dans un raid américain à Bilal Town, ce quartier plutôt cossu de la paisible Abbottabad. Les Américains affirmaient en outre que celui de ses fils présent sur les lieux de l'attaque avait également été tué.

Depuis Abdullah Jan, voisin depuis quatre ans de la villa, se remémore, abasourdi, ces petits détails qui auraient pu lui mettre la puce à l'oreille chez Tariq et Arshad, que l'on croyait être les deux seuls hommes de la maison.

«J'ai toujours pensé qu'il étaient tous deux des Pachtounes Pakistanais, mais maintenant que j'y réfléchis bien, certaines chose ne collaient pas».

Et d'énumérer les faits suivants: «Ils avaient la peau plus blanche, se taillaient parfois la barbe comme les Arabes. Et dans leurs attitudes, ils étaient plus retenus que les Pachtounes» qui peuplent le nord-ouest du Pakistan et le sud et l'est de l'Afghanistan, bastions des talibans et leurs alliés d'Al-Qaïda.

Arshad Khan et Tariq ont emménagé en 2005, selon Abdullah.

«Ils nous ont dit qu'ils venaient de Peshawar», la principale ville du Nord-Ouest, «et qu'ils travaillaient dans le change de devises».

Le premier serait bien pakistanais, quadra pachtoune originaire de Charsadda, selon les services fonciers d'Abbottabad. C'est lui qui a acheté le terrain et fait construire la maison, selon la même source.

Mais l'identité de «Tariq» âgé environ 35 ans, reste mystérieuse, et alimente depuis lundi les conjectures du voisinage.

«Je n'y avais jamais pensé avant», avance Abdullah, «mais Tariq ressemblait à Ben Laden, et pourrait bien être l'un de ses fils», celui qui vivait avec lui à Abbottabad selon certaines sources.

Oussama Ben Laden, à qui l'on a souvent attribué quatre femmes, aurait épousé au moins une Pachtoune. Leur progéniture aurait d'autant moins de difficulté à se fondre parmi les Pachtounes pakistanais ou afghans.

Lundi et mardi, leurs anciens voisins tentaient de recoller les pièces du puzzle en se remémorant les gestes mesurés de leur style de vie discret.

Et Abdullah de se souvenir qu'«Arshad n'a jamais voulu me donner son numéro de téléphone portable, il m'a dit qu'il n'en avait pas, alors que tout le monde en a au moins un. Les femmes de la maison n'ont jamais voulu rendre visite ou accueillir celles du quartier, comme cela se fait ici. Ils ne venaient jamais aux mariages...»

À l'exception d'Arshad et de «Tariq» et parfois de quelques jeunes enfants, la famille ne sortait que brièvement et dans leurs deux modestes voitures, les femmes couvertes d'une abbaya (burqa laissant voir les yeux) noire.

Aucun médecin ne leur rendait visite, selon Abdullah, alors que l'on disait ben Laden malade des reins au point d'être sous dialyse.

Leurs voisins ne s'offusquaient guère de leur excessive discrétion, mettant toutes ces précautions sur le compte de compte des très conservatrices et pudiques traditions pachtounes.

«Il étaient très rigoristes, donc on ne cherchait pas à les fréquenter ou à devenir leurs amis», explique Shinaz Bibi, qui habitait à 150 mètres des hautes murailles équipées de caméras et de barbelés derrière lesquelles la «famille» ben Laden vivait avec une vache et des poulets.

Deux fois par jour, Arshad ou «Tariq» venaient acheter six ou sept pains à Mohammed Asif, à quelques centaines de mètres de l'académie militaire locale. Dans sa minuscule boulangerie, Mohammed sourit à l'idée d'avoir cuit les tous derniers pains du chef d'Al-Qaïda.

«J'en suis fier, car c'est un héros qui a défié l'Amérique», clame-t-il. «Et je dirai à mes petits-enfants que ce n'est pas notre armée qui l'a attaqué, mais les Américains».